(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n° 15. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1998)

 

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Excentricité et spécularité dans les romans d’Anita Brookner

 

Eileen Williams-Wanquet

 

Université de La Réunion

 

“Dr Weiss, at forty, knew that her life had been ruined by literature” — ainsi débute le premier roman d’Anita Brookner, A Start in Life. L’ensemble de son œuvre va illustrer cette première phrase. Dans les seize romans que Brookner a publiés depuis 1981, le lecteur ne peut manquer d’être frappé par l’abondance de références littéraires et artistiques, mais aussi par le rôle primordial de la mémoire et par l’impression générale de répétitivité.

La spécularité, telle qu’elle est définie par Lucien Dällenbach dans son ouvrage Le Récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme [1], permet un éclairage théorique de ces constantes de l’œuvre de Brookner, qui signalent la présence de diverses formes de mise en abyme, définie comme: “tout miroir interne réfléchissant l’ensemble du récit” [2]. À la notion de “l’œuvre dans l’œuvre”, il faut ajouter l’idée fondamentale de réflexivité, ce qui fait de la mise en abyme un phénomène essentiellement relationnel. Le sujet de la réflexion est un énoncé toujours interne au récit  — et jamais extradiégétique [3]. Quant à l’objet de la mise en abyme, il peut varier pour donner lieu à différentes “mises en abyme élémentaires”. L’objet de la réflexion peut être l’énoncé (c’est-à-dire la fiction qui contient la mise en abyme,

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1. Dällenbach, Lucien, Le Récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme. Paris: Seuil, 1997. Cet ouvrage retraçe la genèse du concept de mise en abyme depuis Gide, pour ensuite proposer une typologie des structures du récit spéculaire.
2. Dällenbach 52.
3. Est ainsi exclue de la mise en abyme “toute intervention d’auteur s’exprimant à son propre nom à l’intérieur du récit” (Dällenbach 70).

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autrement dit l’histoire racontée, le récit-cadre), l’énonciation (l’agent et le procès de l’acte de production), le code (l’aspect littéral du texte en tant qu’organisation signifiante).

Nous allons essayer de montrer comment ces diverses formes de réflexivité se poussent toujours en position centrale, la mise en abyme se muant en véritable sujet du récit, dont elle déplace le centre, défini comme “l’endroit où une vue d’ensemble peut satisfaire le besoin d’intelligibilité du lecteur” [4], comme le lieu où le récit puise son sens.

1. Mises en abyme fictionnelles

1.1. Le fonctionnement métonymique de l’intertextualité littéraire et artistique

Les romans de Brookner font constamment référence — sous forme de citations, d’allusions et d’épigraphes — à des auteurs connus, notamment à Dickens, James, Wharton et Balzac. Celle qui fut historienne de l’art disperse aussi à travers ses textes (dans les premier et dernier romans: A Start in Life et Fraud, mais surtout dans les cinquième et sixième romans: Family and Friends et A Misalliance) des références à des tableaux, qui se trouvent à la National Gallery à Londres, au Louvre à Paris, ou bien à Berlin, à Athènes ou à Rome [5]. La fiction de Brookner insère en son sein tantôt un tableau, tantôt une statue, tantôt une œuvre littéraire, ou encore une référence mythologique ou symbolique.

Loin d’être simplement décoratives, ces références intertextuelles et ces représentations visuelles, véritables intrusions d’un genre dans un autre, se donnent à lire comme des énoncés réflexifs que Dallenbäch nomme “métadiégétiques”: elles ne visent pas à s’émanciper de la tutelle narrative du récit qui les contient, se contentant de réfléchir le récit et de ne suspendre que la seule diégèse [6]. Ces mises en abyme fictionnelles ont pour référent la totalité du récit qui leur sert de cadre (cette totalité concerne non seulement chaque roman individuel, mais les douze romans pris comme un tout). Reflètant la culture de l’auteur sous la forme de clichés, elles font fonction d’“indices” donnés au lecteur-décodeur pour interpréter l’œuvre.

Les personnages de Brookner peuvent être divisés en deux grands types antithétiques. Mais les protagonistes et leurs antagonistes n’incarnent pas seulement deux stéréotypes physiques, psychologiques, sociaux ou sexuels. Leur comportement renvoie à tout un code

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4. Dällenbach 93.
5. Dans l’ensemble les personnages passent beaucoup de temps à visiter les galeries d’art, notamment la National Gallery et la Tate Gallery.
6. Dällenbach s’écarte ici de l’usage établi par Genette: il nomme “méta-récit” le récit au second degré que Genette appelle niveau “métadiégétique”. Le “niveau intradiégétique” de Genette est scindé en deux pour donner des “énoncés réflexifs métadiégétiques” et des “énoncés réflexifs (intra)diégétiques” qui, pour leur part, “n’occasionnent ni changement d’instance narrative, ni solution de continuité diégétique...”. Voir Dällenbach 71-72.

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culturel de valeurs, qui sont d’origine livresque et artistique. Les personnages sont littérairement et artistiquement “surdéterminés”. Mary-Ann Caws, dans son ouvrage Reading Frames in Modern Fiction [7], qualifie ce procédé de “literary framing”: “The central character is seen to develop by comparison with another literary or artistic model, which clarifies the development of the first in a superliterary vibration” [8]. Ainsi le texte acquiert une valeur morale par sa référence à ce que Barthes appelle des “idées reçues” [9], l’auteur allant au-delà des types et se chargeant de les expliquer, de découvrir les lois, les forces qui les gouvernent.

Dans Hotel du Lac, Edith Hope se sert du contraste entre le lièvre et la tortue de la fable d’Ésope pour illustrer l’opposition qu’elle perçoit entre deux types de femmes. Comme le précise le premier roman, A Start in Life, l’héroïne de Brookner a été nourrie de contes de fées, qui, nous dit Bruno Bettelheim, posent “des problèmes existentiels en termes brefs et précis” [10]. Les romans font souvent référence à Henry James de façon explicite. Par exemple, l’épigraphe de A Closed Eye est une citation de Madame de Mauves [11] et l’héroïne, Harriet, lit What Maisie Knew. Edith Hope, l’héroïne d’Hotel du Lac, parle de Henry James comme d’un grand auteur qui lui est précieux: “She dreaded making nonsense of something precious to her, and regretfully, disqualified Henry James. Nothing too big would do...” (HL 66). D’ailleurs, dans un entretien accordé à Shusha Guppy, Brookner exprime son admiration pour l’écriture de Henry James et pour le message moral de son œuvre: “Henry James seems to me to have all the moral conscience that everybody should have. He writes basically about scruples...” Elle parle de “the duality of innocence versus experience”[12] chez cet auteur. Dans Lewis Percy, le héros lit Ethan Frome et The Age of Innocence d’Edith Wharton, que Brookner qualifie de “Henry James au féminin” [13] .

L’héroïne de Brookner, qui s’identifie à la tortue besogneuse d’Ésope, aux femmes moralement pures, socialement naïves, psychologiquement aveugles et innocentes de tout calcul de James, ainsi qu’aux héroïnes brimées de Wharton, a appris à s’identifier aux femmes vertueuses de la littérature, même si elle est fascinée par les séductrices, incarnées

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7. Caws, Mary-Ann, Reading Frames in Modern Fiction. Princeton: Princeton University Press, 1978.
8. Caws 26.
9. Barthes, Roland, S/Z. Paris: Seuil (Coll. Points), 1973, p. 211.
10. Bettelheim, Bruno, Psychanalyse des contes de fées. Paris: Robert Laffont, 1976, p. 23.
11. “She strikes me as a person who is begging off from full knowledge, — who has struck a truce with painful truth, and is trying awhile the experiment of living with closed eyes.”
12. Guppy, Shusha, “Interview with Anita Brookner.” The Paris Review no. 29 (automne 1987): 147-169, p.158-159.
13. Guppy 159-160.

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par ses rivales. Dans A Start in Life, le premier roman, l’héroïne dit, dès les premières pages, qu’on lui a appris, non pas à imiter Anna Karénine et Emma Bovary, mais à méditer sur le destin de ces héroïnes — “that she ponder the careers of Anna Karenina and Emma Bovary” (SL 7) — femmes adultères punies pour avoir voulu trangresser les lois du mariage, institution au service de l’ordre social.

Croyant au message moral véhiculé par la littérature du dix-neuvième siècle, confondant monde fictif et réalité, l’héroïne s’est comportée comme un être de papier, croyant qu’il suffisait d’être vertueuse pour être heureuse — “virtue would surely triumph” (SL 11). Ainsi elle s’est toujours efforcée d’imiter les héroïnes qui ont un sens exacerbé du devoir filial et marital. Le premier roman, A Start in Life, annonce d’emblée que lorsque l’héroïne était enfant, on lui disait qu’il fallait prendre comme modèle David Copperfield ou Little Dorrit. Les onzième et douzième romans reprennent les références à Little Dorrit: A Closed Eye fait trois fois référence à ce livre que lit Harriet (CE 57, 59, 71) et Fraud compare le comportement d’Anna à celui de Little Dorrit (FR 11). Le comportement de l’héroïne brooknerienne est calqué sur l’idéal victorien de “l’Ange au foyer”, sacrifiée au devoir filial et conjugal, idéal qui prend ses racines dans la Bible [14], et qui est incarné chez Dickens par des personnages comme Esther Summerson et Ada dans Bleak House, Ruth Pinch dans Martin Chuzzlewit, Mrs Chirrup dans “The Nice Little Couple”, Rachel et Sissy Jupe dans Hard Times, Florence dans Dombey and Sons, Lizzie Hexam dans Our Mutual Friend et surtout par Agnes dans David Copperfield et par Little Dorrit.

L’héroïne de Brookner prend aussi comme modèle certaines protagonistes de Balzac. Dans A Start in Life, qui est nommé d’après Un Début dans la vie de Balzac — livre d’ailleurs lu par l’héroïne — Ruth Weiss a écrit une thèse intitulée “Vice and Virtue in Balzac’s Novels” et travaille sur un ouvrage centré sur les femmes et dont le titre est “Women in Balzac’s novels”. Elle s’identifie à Eugénie Grandet et à Henriette de Mortsauf, qu’elle qualifie de “virtuous”. Elle appelle Dinah de La Baudraye “courageous” ou encore “a great woman”. La vertu de ces héroïnes balzaciennes citées par Ruth consiste en une attitude de chasteté et de fidélité; soumises, obéissantes et passives, ces femmes agissent avant tout par devoir, réprimant leurs désirs.

Mais l’héroïne s’aperçoit, en vieillissant, que tout cela était faux: “most of the tales of morality were wrong, even Charles Dickens was wrong” (SL 99). La “vraie vie”,

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14. Dans deux des romans, A Misalliance et A Friend from England, une épouse comblée est comparée à un personnage biblique. Une vie heureuse et paisible de femme mariée est la récompense de sa vertu, de sa dévotion au foyer: “Beautifully at ease with her conscience, Dorrie was like the virtuous woman in the Bible...” (FFE 172). Toujours présente, disponible, attentive, elle règne sur son univers: “Like the virtuous woman in the Old Testament, Mrs Duff supervised all the goings out and comings in “(MIS 14).

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représentée par la suite des événements narratifs, l’oblige à constater que Dickens avait tort et Balzac raison: “Balzac teaches the supreme effectiveness of bad behaviour” (SL 34). Comme Eugénie Grandet, à force de se comporter correctement et d’attendre passivement le Prince Charmant, l’héroïne de Brookner est passée à côté de la vie, se condamnant à une existence passive, voire inerte et surtout stérile, alors que ses rivales énergiques et sans scrupules trouvent le bonheur conjugal.  

Brookner utilise aussi des références à des œuvres d’art (surtout à des tableaux) pour illustrer et renforcer le système oppositionnel mythique qu’elle met en place dans ses romans et qui soutient l’ensemble de son récit. Dans A Misalliance, le septième roman, Blanche Vernon, déçue par les livres, se tourne, ironiquement, vers une autre forme d’art: la peinture. Elle y perçoit le reflet d’une morale plus conforme à la réalité: “The pictures told her another story” (MIS 95).

Blanche, qui obéit à des règles de vie rigides, et dont le nom est ici symbolique de neutralité et de stérilité, constate que le visage pâle et l’expression triste et anxieuse que lui reflète son miroir ressemblent à ceux des saints chrétiens représentés par les Primitifs flamands: “Her face, in the clouded mirror [c’est moi qui souligne] had the anxious look, the lugubrious bleached look, of an inhabitant of mediaeval Flanders” (MIS 21). Elle appartient bien au monde du Paradis Perdu — “an inhabitant of that fallen world” (MIS 21). Par contre, elle associe sa rivale amorale et égoïste, Sally Beamish, aux nymphes des peintures italiennes païennes de la Renaissance — “the invulnerable and patrician nymphs of the National Gallery’s Italian Rooms” (MIS 46) — ainsi qu’à une statue nommée “Goddess with the Pomegranate”(MIS 9, 47) qui se trouve à Berlin [15], et aux kouroi (féminin korai) du musée d’Athènes (MIS 9, 109, 153) [16]. La statue et les kouroi appartiennent tous

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15. Il existe, au Pergamonmuseum de Berlin (achetée à Paris en 1923), une statue grecque, datant de la haute époque archaïque, entre 580 et 560 avant Jésus-Christ (certains donnent la date plus précise de 575), et bien connue sous le nom de la “déesse de Berlin” (Berliner Göttin). Elle est maintenant appellée “Statue of a Lady”, car il semblerait qu’elle représente non une déesse, mais une mortelle. Si le fait qu’elle tienne une grenade à la main avait au départ fait penser à Aphrodite ou Perséphone, les spécialistes ont conclu qu’il s’agit en fait d’une statue funéraire. Elle porte une couronne, des bijoux élaborés (collier, bracelets), des sandales, et un habit magnifique aux manches amples. Ses cheveux retombent sur le cou. L’expression, plus finement travaillée que le reste, montre un visage plein de sérénité, avec une bouche très accusée. Il s’agit sans doute d’une korè (dans le sens de type de statue féminine grecque archaïque) en train de prier, plus précisémént d’une initiée aux mystères de Déméter/Koré/Perséphone tenant la grenade comme promesse d’immortalité.
16. “Kouroi” est le pluriel du terme masculin “kouros” (écrit aussi “couroi” ou “couros”), dont le féminin est “corè” ou “korè” et le pluriel “korai”ou “corai”). Il s’agit de grandes statues grecques figées, avec la jambe gauche avancée, les bras collés au corps, la tête droite et le regard fixe, datant du sixième siècle avant Jésus-Christ, dont le visage s’épanouit en un sourire, connu comme le “sourire archaïque”. Les spécialistes parlent de “têtes altières et souriantes”, de “vie avide et dense”, de “vie parfaite, à la fois animale et divine, charnelle et spirituelle, pleine et secrète”, de “vigueur florissante”, ou encore d’“épanouissement”. On souligne “cette lumière, ce sourire, ce sens si vif de la beauté du corps humain” ou la “plénitude du modelé”. 

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deux au sixième siècle avant Jésus-Christ, à la “haute époque archaïque” des cités grecques. Les nymphes, les kouroi et la statue ont un sourire identique, sourire qui revient à travers tout le roman et qui éclaire celui de Sally Beamish (dont le nom évoque l’adjectif “beaming”). Ce sourire, qui est qualifié à maintes reprises d’“archaic”, de “patrician”, de “cynical”, de “fixed”, de “eternal”, de “impervious”, ou de “knowing”, est bien le sourire effronté, assuré et méprisant des Dieux et des aristocrates, qui bravent avec impudence les principes moraux. 

La technique iconographique de Brookner étaie le fonctionnement antithétique de l’œuvre, en résumant visuellement, en “mettant au point” l’image de deux types antinomiques de personnages, comme le constate Blanche à propos de ses nombreuses visites à la national gallery: “her visits to the National Gallery [...] had simply brought these principles into focus [c’est moi qui souligne] and into opposition” (MIS 120). Lorsque Blanche parle de “a gigantic conflict of principle [...] which engages the entire human race” (MIS 148), il s’agit bien de la dichotomie “chrétien/païen” — “a straight division between the Christian and pagan worlds” (MIS 95). Cette opposition binaire qui sous-tend toute l’œuvre de Brookner pour éclairer le comportement des personnages est indissociable de la tension qui existe entre devoir et plaisir: “the discrepancy between duty and pleasure. On the one side the obedient, and on the other the free” (MIS 95).

Fraud, le dernier roman, illustre le même thème par le tableau du Titien, Sacred and Profane Love, qui est reproduit sur la couverture. Ce tableau représente deux femmes: “One is naked, the other clothed” (FR 169). Laurence croyait naïvement que la femme nue représentait l’amour profane et celle qui est vêtue l’amour sacré, mais c’est tout le contraire: “Much to his surprise he had found that the unclothed figure was deemed to be sacred, while the other, in her brilliant dress, represented the pomps of this world” (FR 169). Le Bien est ce qui est naturel, spontané, et le Mal tout ce qui porte un masque, ce qui est caché par des règles de bonne conduite hypocrites.

Le but ultime de Brookner n’est pas la critique sociale, ni le jugement moral de ses personnages. Ce qui lui importe est de comprendre le comportement de son héroïne, afin d’expliquer l’échec amoureux de celle-ci: “She saw this not so much as a struggle between vice and virtue [...] as between effectiveness and futility or between vitality and inertia” (MIS 120). Le message inhérent au système des personnages est ainsi répété, renforcé et éclairé par l’intertextualité littéraire et artistique.

 

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Dans un message profondément subversif, Brookner constate l’inefficacité d’un comportement moral, utilisant l’écriture elle-même pour subvertir les illusions soutenues par la littérature du dix-neuvième siècle. Elle renie la philosophie chrétienne, pour qui ce ne sont pas les forts et les puissants qui trouvent le bonheur, mais les faibles. Le décalage ironique entre le contenu manifeste et le contenu latent de ses romans montre à quel point cette philosophie est trompeuse, d’où le titre du douzième roman: Fraud.

L’analyse de Brookner ne s’arrête pas là, mais mène à une réflexion sur le vingtième siècle. En méditant devant les tableaux de la National Gallery, Blanche est frappée par les rapports avec l’époque contemporaine, dans laquelle Dieu est mort, enlevant tout fondement à un comportement moral, et opérant un retour à la loi de la Nature. Brookner veut montrer que l’échec de son héroïne est dû au décalage qui existe entre la moralité qu’elle s’évertue à respecter et celle de l’époque dans laquelle elle vit, comme le dit l’héroïne d’Hotel du Lac: “I am rather stupid, I fear. Out of phase with the world” (HL 93). Brookner, dans une interview, confirme que la situation difficile (predicament) dans laquelle se trouvent ses héroïnes est due au décalage entre la moralité qu’elles s’évertuent de respecter et celle de l’époque où elles vivent: “Obeying all the nineteenth century rules of duty and morality and seriousness and dedication, devotion and not realizing that these are in fact important, but anachronistic qualities and coming to this realization perhaps a little too late” [17].

Brookner ne se contente pas de tourner en dérision son héroïne parce que celle-ci obéit à des règles de vie désuètes; elle attaque par ailleurs le monde moderne, qui se veut trop libre de toute contrainte morale. Le Radeau de la Méduse de Géricault sert de reflet et de commentaire sur notre temps, résumant son dilemme: bel hymne à la liberté effectivement que ces corps entassés à la dérive! Cette double dénonciation est ambiguë: la critique de l’idéologie portée par les romans traditionnels mène à une attaque contre le monde contemporain pour finalement réaffirmer les valeurs du passé.

L’intertextualité littéraire et artistique chez Brookner peut ainsi être qualifiée de mise en abyme — une mise en abyme qui fonctionne comme une métonymie, éclairant la fiction de l’intérieur en la reproduisant à une autre échelle et en stylisant ce qu’elle copie. Les énoncés intertextuels peuvent être qualifiés d’“énoncés synecdochiques”: ils s’approprient progressivement la totalité du récit, en le condensant.

Mais le “résumé intertextuel” ne se contente pas de condenser la matière du récit: il complexifie la première lecture en faisant subir au contexte une pluralisation de sens. La mise en abyme a ainsi une double fonction de compression et de dilatation. À l’opposition de deux types de personnages s’ajoutent les oppositions suivantes: vertu/vice,

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17. Lee, Hermione, Interview d’Anita Brookner. London Week-End T.V., B.B.C. Book Four, Londres, 4  sept. 1985.

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devoir/plaisir, culture/nature, sociéte/individu, chrétien/païen, mort/vie, dix-neuvième siècle/vingtième siècle.

Même si, comme les synecdoques, ces mises en abyme fictionnelles sont des “microcosmes de la fiction”, elles se “surimposent, sémantiquement, au macrocosme qui les contient, le débordent et, d’une certaine manière, finissent par l’englober à son tour”. Le centre d’intérêt des romans est ainsi déplacé de l’individu au type, puis au code culturel dont ce dernier n’est que le reflet. La réflexion morale qu’offre l’intertextualité s’approprie progressivement la totalité du récit [18], se met en position centrale, pour mieux éclairer le récit-cadre [19]. Finalement les personnages, reflets de valeurs véhiculées par toute une culture, ne sont que l’expression mythique de la vue qu’a Brookner de l’humanité.

1.2. Mises en abyme anachroniques comme échangeurs de temps

Le dédoublement fictionnel, symptôme de repli sur soi, que représente l’évocation intermittente d’œuvres d’art, “éclaire un présent individuel” non seulement à la lumière de codes culturels, mais aussi “à la lumière du passé” [20]. En effet, si la structure en analepse prime dans toute l’œuvre de Brookner, c’est parce que la narratrice-type est une femme de plus de quarante ans qui se penche sur son passé pour essayer de comprendre ce qu’elle est devenue dans un présent narratif.

Ces analepses relèvent aussi de la mise en abyme fictionnelle dans le sens où le récit temporellement second est contenu dans le premier, est une véritable “histoire dans l’histoire”, un récit enchâssé qui réfléchit le récit-cadre en l’expliquant. Ces mises en abyme anachroniques, qui non seulement interrompent la diégèse, mais sont censés être pris en charge par une narratrice interne, relèvent de ce que Dällenbach appelle des “méta-récits” réflexifs. Ce sont, pour reprendre les termes de Dorrit Cohn, des “instants de suspension temporelle” [21] où un personnage se révèle, entre le passé qui surgit du souvenir et l’anticipation du futur.

La mémoire, qui est une rétroaction du sujet sur lui-même et qui permet au passé de survivre et de pénétrer le moment présent [22], permet à la protagoniste de comprendre

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18. Voir Dällenbach 62-63.

19. “En affirmant d’un récit que ‘rien ne l’éclaire mieux’ que sa mise en abyme, c’est là, sans doute, ce que Gide avait en vue”. Voir Dallenbäch 76-81.

20. Voir Dällenbach 154-155.

21. Cohn, Dorrit, La Transparence intérieure. Paris: Seuil, 1981, p.150-152.

22. Bergson distingue entre la “mémoire mécanique,” qui permet par exemple d’apprendre un poème par cœur et de le réciter “par habitude”, et la “vraie mémoire”, celle qui sélectionne les événements marquants pour les faire revivre. Il s’agit ici du deuxième type de mémoire.

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ce qu’elle est devenue, comme l’exprime Frances, l’héroïne de Look at Me: “To remember is to face the enemy. The truth lies in remembering” (LM 5). L’écriture n’est que remémoration pour Brookner, comme le précise aussi Frances: “And writing is the enemy of forgetfulness, of thoughtlessness. For the writer there is no oblivion. Only endless memory” (LM 84).

La structure la plus commune (utilisée dans les trois premiers romans et reprise par la suite) est celle dans laquelle le personnage principal se remémore sa vie passée en “analepse mixte complète” [23]. L’analepse “rejoint le récit premier non pas en son début [comme une analepse externe complète], mais au point même où il s’était interrompu pour lui céder la place [...] le mouvement narratif accomplit un parfait aller-retour” (Genette 102). Cette “analepse mixte complète” est liée “à la pratique du début in medias res” et “vise à récupérer la totalité de l’“antécédent” narratif”. Le récit second mis en abyme découvre “les événements antérieurs et les événements postérieurs à son point d’ancrage dans le récit”.

Par exemple, dans A Start in Life (1981) le “récit premier” couvre un premier chapitre de quatre pages, dans lequel l’héroïne fait le bilan de sa vie. Ensuite le texte revient, par le biais de la mémoire, sur des moments selectionnés du passé de l’héroïne. Dans tout ce récit temporellement second au premier, véritable “retour en arrière explicatif” (Genette 79) ou “repli interrogatif sur soi”, l’appellation “Dr Weiss” est remplaçée par celle de “Ruth”. La narratrice est en fait la même, mais son point de vue varie en fonction de son âge. À la dernière page du roman, la reprise du récit premier là même où il s’était interrompu est signalée par un double espacement entre les lignes, par un retour à l’appellation “Dr Weiss”, ainsi que par des échos formels et thématiques du moment où les deux récits se sont séparés. Ruth reprend la lettre à son éditeur et le début de la lettre  — “Dear Ned, she wrote...” (SL 176) — fait écho au “Better invite Ned to dinner” (SL 9) du début. Le roman se clôt avec un retour à la préoccupation initiale de Ruth: le parallèle désolant qu’elle constate entre sa situation et celle d’Eugénie Grandet (SL 8, 9 et 176). Le récit cadre couvre quatre pages et demie et le récit enchâssé occupe cent soixante-et-onze pages.

Outre ces analepses mixtes complètes, une autre technique narrative chère à Brookner — technique utilisée dans les quatrième et cinquième romans (Hotel du Lac, A Misalliance) et repris aussi par la suite — est de reconstituer les événements qui ont mené au point de départ du récit premier par une série d’analepses externes, qui, toutes ensemble, forment une analepse externe complète, venant rejoindre le point de départ du récit premier. Ce récit second a toujours la même fonction explicative, révélant petit à petit les événements qui ont conduit à la situation présente. Cette fois, la mise en abyme explicative est morcelée, en sorte qu’elle alterne avec le récit qui l’enchâsse.

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23. Genette, Gérard, Figures III. Paris: Seuil (Coll. Poétique), 1972, p. 77-105.

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Par exemple, dans Hotel du Lac (1984), le récit premier, qui concerne l’automne que l’héroïne londonienne (quarante-cinq ans) passe dans un hôtel suisse au bord du lac Léman, est conté en “psycho-récit”, le roman débutant par la description, dans un ton narratif qui se veut neutre et objectif, de la vue qu’a Edith Hope depuis une fenêtre de l’hôtel. Les analepses, qui informent le lecteur des événements ayant conduit l’héroïne à cet exil forcé (elle est envoyé en Suisse par ses amis, afin de réfléchir sur sa vie), sont parfois en “monologue rapporté”, à la première personne et au présent. Mais la plupart du temps, dans les “instants de suspension temporelle” où Edith se révèle, le psycho-récit se transforme en “monologue narrativisé” (style indirect libre). Les souvenirs d’Edith sont déclenchés par des instants de malaise, où elle s’extrait momentanément du monde ambiant pour se réfugier dans le souvenir. Ces retours en arrière sont signalés par des verbes de perception, de pensée ou de sentiment, ainsi que par des changements de temps grammaticaux: le texte fait recours au plus-que-parfait, mais, une fois l’antériorité temporelle établie, revient au passé simple, moins lourd; le conditionnel exprime les illusions passées d’Edith. L’alternance continuelle entre psycho-récit, monologue raconté et monologue narrativisé fait que narrateur, personnage et focalisateur se confondent. Seule la perspective temporelle et spatiale varie.

Le roman s’ouvre et se clôt sur la vue qu’a Edith depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Comme le reflet que lui renvoie son miroir, l’automne passé en Suisse fonctionne comme une fenêtre intérieure que l’héroïne ouvre sur sa vie passée. Si cette introspection lui a “ouvert les yeux” sur son état, elle n’a rien résolu: la grisaille de la vision du début — “From the window all that could be seen was a receding area of grey” (HL 7) — s’est intensifiée pour devenir obscurité — “drawing the curtain aside she could see nothing but blackness...” (HL 171) — alors qu’Edith s’apprête à rentrer à Londres retrouver son amant, à revenir à l’état qui précède le récit premier.

 

Brief Lives (1991) reprend les deux structures décrites ci-dessus: le récit premier emboîte une analepse mixte complète qui, elle-même, consiste en une série très serrée d’analepses externes. Quelques jours de récit premier, pendant lesquels il ne se passe rien d’autre, suffisent ainsi à Fay, soixante-dix ans, pour passer en revue toute une vie, d’où le titre de ce roman, qui insiste sur le passage rapide du temps. Le mouvement de zigzag constant entre les récits premier et second est signalé par des changements de temps, le présent marquant un retour au récit premier, alors que le récit second est au passé. Chaque retour au récit premier signale la fin d’une analepse et le début d’une autre, marquée par une insistance sur le rôle de la mémoire: “In memory I see...”. Ces retours et redémarrages cycliques se multiplient, le temps est à la fois accéléré et resserré, deux séries temporelles se superposent, confondant présent et passé et accumulant les souvenirs. Fay reconstruit petit à petit son passé dans un parfait ordre chronologique, le récit progressant ainsi à reculons.

 

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Le récit premier porte les marques d’un narrateur omniscient. L’omniscience temporelle de Fay — “Seasons changed, years melted into one another” (BL 106) — lui donne une perspective télescopique — “for many years, years in which I enjoyed an apparently happy and successful existence...” (BL 19). Elle adopte un ton méditatif et philosophique pour commenter son époque — “I dare say it is all very different now” (BL 13) — ou formuler des vérités générales — “I think concealment is difficult for a woman...” (BL 116). Mais le récit premier, comme le récit second, est à la première personne du singulier. Fay a acquis une sagesse narratoriale en vieillissant et parle d’un point de vue éclairé de sa propre vie: “Now I realize that I had been frightened almost from the beginning...” (BL 29). La fusion entre narrateur, focalisateur et personnage est complète, avec seulement ce même décalage temporel. Le “je” est à la fois même et autre, selon son ancrage dans le temps.

Ainsi, les diverses formes que prennent les mises en abyme analeptiques chez Brookner visent toutes à récupérer l’antécédent narratif, le récit premier faisant figure de dénouement anticipé.

Il n’est pas anodin que Fraud, le douzième roman de Brookner, se pose en roman policier classique, débutant avec la disparition d’Anna Durrant et l’enquête policière qui suit. Deux séries temporelles se superposent: les jours de l’enquête (le récit premier) qui commencent avec la disparition d’Anna, et les jours qui mènent à cette disparition (le récit second). Cette structure est symbolique de la quête de tous les romans: le récit premier pose d’emblée un problème “à résoudre”, celui de l’“effacement” à la vie d’une héroïne d’environ quarante ans. Dans un retour en arrière explicatif, celle-ci, tel un détective, essaie de comprendre l’échec de sa vie, de mettre au jour les événements qui ont conduit au présent narratif. Comme le dit clairement George Bland, héros de A Private View, âgé de soixante-cinq ans: “now was the moment to take stock. [...] he reviewed his life and found it to be alarmingly empty” (PV 1, 12).

Le récit temporellement second de Brookner relève de ce que Dallenbäch appelle “la mise en abyme rétro-spective” (Dällenbach 82-94). “Charnière entre un déjà et un pas encore”, il “récapitule et préfigure” la vie entière de l’héroïne. L’ordre chronologique est dissous: passé, présent et futur deviennent réversibles. Comme le dit Frances, héroïne de Look at Me: “Once a thing is known, it can never be unknown. It can only be forgotten. And, in a way that bends time, so long as it is remembered, it will indicate the future [c’est moi qui souligne]” (LM 5). C’est pourquoi le récit second contient parfois des “prolepses sur analepse”, comme dans A Friend from England: “I foresaw a future in which I would...” (FFE 204).

Les rôles sont ainsi renversés: le récit inséré, “après en avoir été l’objet, s’est mué en sujet et en clé d’interprétation du roman”. La mise en abyme s’est “poussée en position

 

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centrale” (Dällenbach 82-94), reléguant le récit premier (d’ailleurs presque toujours plus court) à une position secondaire. Le récit-cadre n’est finalement que le résultat, le reflet du récit second, qui l’éclaire, l’explique. La mise en abyme fait fonction d’“échangeur de temps”, faisant pivoter la lecture d’un point de vue temporel. Le présent est éclairé à la lumière du passé, qui l’envahit, l’emprisonne et lui dicte son avenir.

2. Mises en abyme de l’énonciation

2.1. Dédoublements de la protagoniste

Dans la mesure où elle est censée être prise en charge par une instance narrative différente de celle qui gouverne le récit premier, cette mise en abyme anachronique représente aussi des changements de niveaux narratifs qui sont intimement liés aux jeux de focalisation (Dällenbach 71-72).

Il s’opère une sorte de télescopage de voix, qui se superposent et se mêlent. La narratrice intradiégétique du récit second est en fait la même que celle du récit premier, même si cette dernière se pose parfois en narratrice extradiégétique. Seulement, elle est plus jeune et moins avisée, avec un point de vue différent, moins éclairé. Dans la mesure où elle est l’héroïne de sa propre histoire, on peut parler de narratrice “autodiégétique”.

La relation entre les deux niveaux narratifs ne concerne donc pas seulement le rapport temporel entre les récits premier et second. Un rapport spéculaire s’installe aussi entre l’énonciatrice du récit-cadre et celle de la mise en abyme fictionnelle. En se remémorant sa propre histoire, la protagoniste du récit porteur se dédouble.

Ce retour sur soi, nous l’avons dit, a pour but de comprendre le présent à la lumière du passé. La mise en abyme de l’histoire narrée fonctionne comme un véritable exemplum. Dans l’ancienne rhétorique, cet argument par analogie opérait “par le biais de comparaisons historiques que l’orateur appliquait au présent, ce mode de convaincre visait idéalement à induire l’auditeur à modifier sa conscience de soi” et le rôle du récepteur consistait “essentiellement à interpréter de façon correcte la vérité proposée, à en reconnaître la vertu actuelle et en dégager la leçon pratique” (Dällenbach 108). La mise en abyme analeptique est destinée à détromper la protagoniste en lui offrant le spectacle de ses propres erreurs et à susciter une prise de conscience.

C’est pourquoi il y a toujours un hiatus entre les illusions de l’héroïne de Brookner et ce qui se passe au niveau des événements narrés. Ce décalage ironique fait partie de la stratégie de l’auteur, qui qualifie son héroïne d’“idiote”. Dans une démarche foncièrement ironique, les impulsions romantiques de la protagoniste se brisent immanquablement contre une réalité extérieure inéluctable.

Mais les illusions sont tenaces et l’espoir ne meurt pas si facilement. En dépit de toute évidence et de toute raison, l’espoir de trouver l’amour persiste, est toujours prêt à

 

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rejaillir, jusqu’au revirement ironique final. L’héroïne résiste à la “réalité”. Telle Frances, dans Look at Me, qui ne cesse de croire en sa relation avec James, même lorsque tout indique que celle-ci est terminée: “beneath my reserve [...] there was the most agitated hope” (LM 156). Telle Kitty, dans Providence: en dépit du comportement égoïste et fuyant de son amant, et des conseils d’autres personnages moins aveugles, elle persiste à idéaliser Maurice et à croire qu’il va l’épouser, jusqu’au moment où elle ne peut plus nier les faits.

Il n’y a qu’avec le temps que l’espoir s’atténue, mais sans jamais disparaître. En dépit de toute évidence et de toute raison, l’espoir et le désir d’amour persistent. Une prise de conscience ne suffit pas pour tuer le désir, qui est infini, comme le constate Fay: “the durability, the hopelessness of desire” (BL 216). Confronté à la vie, l’espoir résiste, mais l’illusion se change en désillusion, comme l’a compris George Bland à l’âge de soixante-quinze ans: “when hope outlasted expectation, the outcome was disillusion” (PV 187). La passion non plus ne disparaît pas, mais se transforme en regret: “the passion he had always sought had become attenuated, until now it was an affair not only of longing, but of infinite regret” (PV 203).

En vieillissant, l’héroïne, même si elle se construit une carapace stoïque contre le monde, ne se débarrasse jamais de sa vraie nature, qui rôde surtout la nuit, comme chez Anna: “Extreme discipline kept her in check, while demons, she  knew, circled and waited” (FR 93). Autre dédoublement. La personnalité de la protagoniste est scindée en deux. Sa façade extérieure, de jour, raisonnable, est doublée de son revers passionné, surgissant surtout dans la solitude de la nuit.

L’exemplum permet une prise de conscience, après un lent déchiffrement de signes. La protagoniste-réceptrice est ainsi éclairée, comprend mieux l’impasse dans laquelle elle se trouve. Mais il y a blocage au niveau de l’action subséquente: la protagoniste ne saurait transformer ni ce qui est déjà joué, ni sa nature passionnée. L’image de la protagoniste est dépourvue d’un devenir véritable. Son destin était inscrit d’avance, dans la mesure où elle est le fruit de son passé et de celle de ses ancêtres. Comme le dit George Bland “You are what your destiny made you. We all are” (PV 202).

Malgré tous ses efforts, la narratrice-protagoniste du récit-cadre ne parvient jamais à se débarrasser de son “je” passé, représenté par la narratrice-protagoniste de la mise en abyme. De plus, les rôles sont renversés entre les deux “je”: celui de la mise en abyme devient le véritable sujet du récit, reléguant le “je” au présent du récit-cadre au rôle de spectatrice/lectrice de sa propre histoire, dont elle est elle-même l’actrice.

 

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2.2. Le producteur du récit mis en abyme [24]

Cette articulation entre un “je” passé et un “je” présent, que l’on trouve à l’intérieur de chaque roman, est reflétée par l’ensemble chronologique des romans. La narratrice-protagoniste-focalisatrice qui se penche sur sa vie est presque toujours la même. Dans douze [25] des seize romans parus jusqu’à ce jour (1997), il s’agit d’un récit autodiégétique [26]. Le fait que dans deux des romans [27] le personnage principal soit un homme est simplement une stratégie de la part de Brookner, qui essaie de “perturber l’identification” (Dällenbach 106). Lewis Percy et George Bland ne sont que le reflet masculin de l’héroïne. Ainsi chaque héroïne successive, toujours un peu plus âgée, est le reflet et le prolongement de la précédente, ayant une vision de plus en plus panoramique de sa vie: Anna, la douzième héroïne, se superpose à Harriet dont elle est le reflet, Harriet se superpose à Fay dont elle est le reflet, et ainsi de suite, en remontant le temps à rebours, jusqu’à Ruth, la première héroïne, qui est le reflet de son créateur. Le héros de A Private View, le quinzième roman, résume cette structure circulaire fondée sur d’incessants retours en arrière: “If life were to be lived backwards in this way, as it seemed to be...” (PV 121).

La perspective diachronique semble ainsi indiquer que c’est son producteur même que le texte de Brookner met en abyme. Il s’ajoute alors un autre niveau narratif, celui de l’instance organisatrice de tout un ensemble romanesque, qui jette un pont entre passé et présent. Sur les “je” intermittents du narrateur et de la protagoniste et sur les “je” successifs des héroïnes se greffe le “je” de la figure de l’auteur. Derrière Ruth, Kitty, Edith, Blanche, Fay, ou même Lewis et George, il existe “la réalité d’un surmoi féminin” [28], que Bakhtine appelle “auteur objectivé” et Booth “auteur implicite”.

 Ainsi, tout au fond de la mise en abyme, se profile une personne biographique qui s’exprime à travers elle. L’héroïne-narratrice type est “l’autre possible”, le substitut de Brookner elle-même, qui s’imite, se dédouble pour pouvoir se voir. L’auteur “s’imite”, comme Barthes dit qu’il le fait devant l’objectif, elle “se fabrique un autre corps” [29]. Elle construit une figure auctoriale et la fait endosser à son personnage.

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24. Voir Dällenbach 100-107.

25. A Start in Life, Providence, Look at Me, Hotel du Lac, A Misalliance, A Friend from England, Lewis Percy, Brief Lives, A Closed Eye, Fraud, A Private View, Altered States.

26. Deux romans présentent un “quatuor” de personnages: Family and Friends et Latecomers. Dans deux autres, la coïncidence narratrice/héroïne n’est pas respectée, la narratrice racontant l’histoire de la génération précédente: A Family Romance et Incidents in the Rue Laugier.

27. Lewis Percy et A Private View.

28. Mauron, Charles, Des métaphores obsédantes au mythe personnel. Paris: José Corti, 1963, p. 221.

29. Barthes, Roland, La Chambre claire. Paris: Éditions de l’Étoile, Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 25 et 29.

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Cette interprétation autobiographique est confirmée par le rapport auteur-héroïne tel qu’il est décrit par Bakhtine30. Toutes deux participent au même monde spatio-temporel et aux mêmes valeurs. Il y a correspondance approximative entre la date de naissance de Brookner (1928) et celle de son héroïne, elles appartiennent à peu près à la même génération, ayant grandi pendant la deuxième guerre mondiale. L’évolution chronologique de l’action des romans au vingtième siècle suit celle de l’auteur, divers “marqueurs temporels” situant l’action des romans entre les années1950 et 1990. Lorsque Brookner commence à écrire des romans elle a cinquante-trois ans, et lorsque sa première héroïne, Ruth Weiss, se penche sur son passé elle en a quarante. Lorsqu’il fait le bilan de sa vie, George Bland a soixante-huit ans, exactement le même âge qu’avait Brookner lorsqu’elle a écrit le roman dont il est le héros, A Private View, en 1994. De plus, les héroïnes sont si semblables qu’elles en deviennent “un type”, ressemblent physiquement, psychologiquement, socialement et moralement à l’auteur. Aussi, l’écriture et la lecture sont très nettement mises en scène: lorsque l’héroïne brooknerienne n’est pas elle-même romancière, elle écrit une thèse, est professeur, bibliothécaire ou libraire, toutes activités qui ont un lien étroit avec le monde des livres, que d’ailleurs elles lisent sans arrêt.

Le “je” du créateur s’est mué en sujet du récit, se mettant en position centrale, décentrant le “je” du narrateur, qui a lui-même décentré le “je” du personnage.

Ainsi la figure héraldique inversée est inscrite dans la totalité de l’œuvre. L’image du “blason dans le blason” est retournée, les duplications intérieures devenant les véritables sujets des romans, décentrant temporellement le récit, tout entier tourné vers le passé. L’existence (du créateur) se substitue à l’art comme centre de l’activité scripturale. Le texte de Brookner devient le reflet du créateur.

3. Mise en abyme du code

Le texte est non seulement miroir de son créateur, mais aussi de la création.

Look at Me, comme Paludes ou Les Faux-Monnayeurs de Gide (Dällenbach 42-51), brouille volontairement les limites entre art et vie, réalisant ainsi une oscillation entre dedans et dehors. Le “je” écrivant Look at Me  se projette dans un second “je”, celui de Frances Hinton écrivant son journal, qui se projette dans un troisième “je”, celui du personnage du roman que prépare Frances et qu’elle commence à écrire à la dernière page — “I pick up my pen. I start writing” — reprenant le titre de l’œuvre enchâssante écrite par l’auteur, titre qui d’ailleurs revient comme un refrain dans tout le roman. Look at Me est de toute évidence non seulement un “roman dans le roman”, mais aussi le “roman du roman” et même le “roman du romancier”, le roman virtuel de Frances reflétant le roman de Brookner. Narrateur et auteur se superposent “au point de confondre leur activité d’écriture”.

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30. Voir Bakhtine, Mikhaïl, Esthétique de la création verbale. Paris: Gallimard, 1979, p. 157-172 et 221-224.

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Comme le dit Dallenbäch à propos de Gide: “Nous donner le spectacle d’un auteur relayé par un substitut relayé à son tour par un personnage de romancier écrivant un roman qui a toutes les chances de s’intituler aussi Look at Me, n’est-ce pas nous mettre en présence d’une version littéraire de la déception infinie?”

Si ce procédé est utilisé par Brookner dans un seul roman, l’ensemble de l’œuvre présente la même structure que Look at Me. Une figure circulaire métaphorique se dessine dans les tréfonds de l’œuvre de Brookner, qui est fondée sur d’incessants retours et animée par une véritable compulsion de répétition.   

Cette structure latente du cercle se dessine au niveau de l’intrigue de chaque roman. Le cas typique est celui d’une héroïne qui essaie de se libérer du poids de la famille et du passé afin de fonder son propre foyer et de s’inscrire ainsi dans la continuité familiale, mais elle se retrouve inéluctablement au point de départ, seule. Contrairement à ce que l’on trouve habituellement dans les récits qui racontent l’histoire d’une quête, celle de l’héroïne brooknerienne est d’emblée minée. Ainsi, Kitty, dans Providence, a l’impression de se trouver dans un gigantesque jeu de l’oie: “She had the impression of having been sent right back to the beginning of a game she thought she had been playing according to the rules” (PR 189).

Ces retours en arrière sont mimés par la structure temporelle et par les procédés stylistiques, puisque les mêmes mots et les mêmes situations sont repris littéralement au début et à la fin des romans, revenant parfois entretemps, comme un leitmotiv. Par exemple, dans Providence, les souvenirs de Kitty commencent avec ce repas familial au cours duquel sa mère française, Marie-Thérèse, est morte: “her mother collapsed in her chair, one small hand trailing through some fragments of walnut shell...” (PR 18). S’ensuit une véritable lutte: Kitty s’efforce d’oublier sa mère étrangère et de s’intégrer au pays d’accueil, espérant épouser un aristocrate anglais. Mais elle est hantée par l’image de sa mère morte à table, qui lui enlève tout appétit: “Kitty Maule could never sit down to a hearty plateful of food without hearing the plaint, ‘Marie-Thérèse! Marie-Thérèse!’ Her throat would close and a faint trembling would start in her hands” (PR 18). Le roman se termine par un repas chez l’amant de Kitty, au cours duquel elle découvre qu’il va en épouser une autre. Et elle se retrouve seule avec cette image, qui ne l’a jamais quittée: à la dernière page, le “gros plan” sur les mains de Kitty à table — “Kitty, trying to control her trembling hands” (PR 189) — ainsi que la dernière phrase — “And picking up her spoon, she prepared to eat” (PR 189) — renforcent l’impression de miroir: il y a retour final à cet autre repas, d’il y a quelques années, où l’auteur avait noté, sur la table, parmi les déchets, la main inerte de Marie-Thérèse. Kitty devient le reflet de sa mère, qui, “source de tout son désespoir”, a finalement gagné.

 

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Chaque roman successif est à la fois répétition et variation. Dans l’ensemble, la même situation dramatique, les mêmes thèmes et les mêmes personnages sont repris, avec de simples variantes, l’héroïne étant condamnée à un perpétuel recommencement, car sa quête reste inachevée.

Le douzième roman semble esquisser un retour au premier, ne serait-ce qu’au niveau de l’intrigue: Anna, la douzième héroïne, se retrouve, comme l’était Ruth, la première, prisonnière d’un parent âgé. À la fin du roman, l’héroïne “sort du livre” et rejoint le commun des mortels dans le chemin de la vie: “the path which Anna had taken, out into the bright, dark, and dangerous and infinitely welcoming street”(FR 224). Anna se confond avec les autres héroïnes pour devenir la narratrice de sa propre histoire, que Ruth avait commencée: l’ensemble formé par les douze romans a la même structure que Look at Me. Art et vie se rejoignent, comme le remarque Anna devant les tableaux du Louvre: “How strange that art and life should coalesce like this, in the space of a single day!” (FR 148).

Mais ceci est une fausse fin. Anna comprend mieux l’échec de sa vie et il lui a fallu toute une œuvre pour s’affranchir — “‘I’ve grown up at last. [...] And now I’m free. Free of the old self. Free of expectations’“ (FR 223). Mais cette fin reste ambiguë et la liberté d’Anna est contredite par l’ironie, lorsqu’elle ajoute: “Oh, no, never free of hope. [...] No, free of expectations” (FR 223).

D’ailleurs Brookner ne s’arrêtera pas avec ce douzième roman, continuant à publier un roman par an. On ne retrouve plus, après Fraud, ce télescopage entre narratrice, héroïne focalisatrice et auteur. Néanmoins, les mêmes thèmes, la même écriture et les mêmes personnages sont repris, obsessionnellement.

Le texte de Brookner met en abyme le malaise de son auteur: tourmentée par un rêve de bonheur qu’elle sait hors d’atteinte, elle utilise l’écriture comme une véritable thérapie. Mais si la psychanalyse est un “antidépresseur neutralisant”, la création littéraire est un “contre-dépresseur lucide”31. Ce qui explique la remarque que fait Brookner à Haffenden: “Well, if it [l’écriture] were therapy, I wish it had worked. It doesn’t work that way, which is why I have to keep on doing it”32. L’œuvre de Brookner peut ainsi être perçue comme ce que Dallenbäch qualifie de “mise en abyme transcendentale”: la fiction de Brookner fonctionne comme métaphore de la création, en mimant son origine — une quête qui n’aboutit jamais et qui doit être répétée à l’infini. “Le récit se modèle sur sa métaphore d’origine autant que celle-ci se modèle sur lui” (Dällenbach 137).

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31. Kristeva, Julia, Soleil noir, dépression et mélancolie. Paris: Éditions Gallimard, 1987, p. 34, 35.
32. Haffenden, John, Novelists in Interview. Londres: Methuen, 1985, p. 59.

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Mais le “code” (l’aspect littéral du texte en tant qu’organisation signifiante) est doublement métaphorique, mirant non seulement une quête absurde et farcesque, mais aussi une tentative pour échapper au temps dans le “triomphe d’un temps “retrouvé” et donc nié”. À force de se répéter, le cercle devient cycle, chaque “fin” représentant un nouveau début, comme l’exprime Edward Harrison dans Incidents in the Rue Laugier: “At times like these he was convinced of the poetry of life, of its unending circularity” (IRL 20). En réponse à l’impossibilité rationnelle de bonheur se dressent les forces de l’imaginaire, pour offrir la possibilité d’un éternel recommencement. Au scepticisme de l’homme moderne s’oppose une vision primitive, magique, celle qui voit la nuit comme annonciatrice de l’aube et la mort comme renaissance. Par sa forme profonde, le texte lutte contre l’avance linéaire inexorable vers la vieillesse et la mort de l’héroïne, rendues insupportables par l’impossibilité de croire en une autre vie et aussi par l’absence d’enfant, qui lui aurait permis de s’inscrire dans la continuité familiale (présentée dans ces textes comme la seule façon certaine de contrecarrer la mort). 

Toutefois, le triomphe de Brookner ne serait que très relatif, dans la mesure où elle devient prisonnière de son écriture, condamnée à recommencer éternellement le même texte, comme Sisyphe. Bien que circulaire, son récit “ne tourne pas rond”. La structure circulaire est vicieuse, car elle ne se referme jamais complètement en cercle, puisque la quête reste inaboutie. Ne trouvant jamais son centre, le texte ne parvient pas à se clore, à atteindre l’image idéale d’un tout refermé sur lui-même autour d’un centre fixe. La tentative de retour à la “case départ” manque justement le point de départ (car celui-ci a déjà eu lieu) et est forcée de continuer sur sa lancée de reduplication aporistique. Finalement, à force de dessiner une succession de cercles, de répéter obsessionnellement la même courbe jamais tout à fait achevée, la structure géométrique du texte bascule: le cercle se fait spirale, qui s’écarte progressivement du centre dans un mouvement sans fin. La métaphore de la spirale, “ ’petits cercles serrés qui débordent les uns sur les autres’ ” (Dällenbach 196), qui s’inscrit dans les tréfonds du texte répétitif de Brookner, illustre une rencontre manquée avec elle-même, et inscrit, au centre même de son texte, un décentrement.

Ainsi, le drame du texte brooknerien, comme celui du texte beckettien, Watt, est de ne pouvoir trouver le centre, ici gommé d’avance (Dällenbach 131-138). Plus le texte déplace le centre, plus il s’en écarte. Chaque exemplaire de la série des romans est toujours décalé, dans le temps et dans l’espace, par rapport à lui-même. L’inscription de ce manque abymé, de ce décentrement, se mue en sujet inaccompli, après lequel court spécieusement le récit, essayant en vain de retrouver son centre. La mainmise de la mise en abyme, que ce soit de l’énoncé, de l’énonciation ou du code, sur la totalité du récit, l’échange de rôles entre

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macrocosme et microcosme, “désorigine” ou décentre le récit tout entier. Dans la relation dialectique qui s’instaure entre art et vie, entre écriture et écrivain, le sujet même de l’œuvre devient relationnel. Le récit de Brookner, comme sa douzième héroïne, qui n’a toujours pas trouvé ce qu’elle cherche, court après une réalité qui se dérobe toujours, comme le fait Anna: “ ‘What is she looking for?’ [...] ‘Her destiny, she says. Her fate’ ” (FR 18).

 

 

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BIBLIOGRAPHIE

Romans d’Anita Brookner (dans l’ordre de parution, et avec les abréviations des titres)

Brookner, Anita, A Start in Life (SL). Londres: Jonathan Cape, 1981. Harmondsworth: Penguin Books, 1991.

Providence (PR). Londres: Jonathan Cape, 1982. Londres: Triad, Grafton Books, 1983.

Look at Me (LM). Londres: Jonathan  Cape, 1983. Londres: Triad, Grafton Books, 1982.

Hotel du Lac (HL). Londres: Jonathan Cape, 1984. Londres: Triad, Panther Books, 1985.

Family and Friends (FF). Londres: Jonathan Cape, 1985. Londres: Triad, Grafton Books, 1986.

A Misalliance (MIS). Londres: Jonathan Cape, 1986. Londres: Grafton Books,1987.

A Friend from England (FFE). Londres: Jonathan Cape, 1987. Londres: Grafton Books,1988.

Latecomers (L). Londres: Jonathan Cape, 1988. Londres: Grafton Books, 1989.

Lewis Percy (LP). Londres: Jonathan Cape, 1989. Harmondsworth: Penguin Books, 1990.

Brief Lives (BL). Londres: Jonathan Cape, 1990. Harmondsworth: Penguin Books, 1991.

A Closed Eye (CE). Londres: Jonathan Cape, 1991.

Fraud (FR). Londres: Jonathan Cape, 1992.

A Family Romance (FR). Londres: Jonathan Cape, 1993.

A Private View (PV). Londres: Jonathan Cape, 1994. Harmondsworth: Penguin, 1995.

Incidents in the Rue Laugier (IRL). Londres: Jonathan Cape, 1995. Harmondsworth: Penguin, 1996.

Altered States (AS). Londres: Jonathan Cape, 1996.

 

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 Autres références utilisées dans l’article

Bakhtine, Mikhaïl, Esthétique de la création verbale. Paris: Gallimard, 1979.

Barthes, Roland, S/Z. Paris: Seuil (Coll. Points), 1973.

La Chambre claire. Paris: Éditions de l’Étoile, Gallimard, Le Seuil, 1980.

Bettelheim, Bruno, Psychanalyse des contes de fées. Paris: Robert Laffont, 1976.

Caws, Mary-Ann, Reading Frames in Modern Fiction. Princeton: Princeton University Press, 1978.

Cohn, Dorrit, La transparence intérieure. Paris: Seuil, 1981.

Dällenbach, Lucien, Le Récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme. Paris: Seuil, 1997.

Durand, Gilbert, Les structures anthropologiques de l’imaginaire. Paris: Bordas, 1984.

Genette, Gérard, Figures III. Paris: Seuil (Coll. Poétique), 1972, p. 77-105.

Guppy Shusha, “Interview with Anita Brookner”. The Paris Review no. 29 (automne 1987), p.: 147-169.

Haffenden, John, Novelists in Interview. Londres: Methuen, 1985.

Jestaz, Bertrand, L’art de la Renaissance. Paris: Éditions Mazenod, 1984.

Kristeva, Julia, Soleil noir, dépression et mélancolie. Paris: Éditions Gallimard, 1987.

 Lee, Hermione, Interview d’Anita Brookner. London Week-End T.V., B.B.C. Book Four, Londres. 4 sept. 1985.

Mauron, Charles, Des métaphores obsédantes au mythe personnel. Paris: José Corti, 1963.

 

 

(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n° 15. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1998)