(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n° 11. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1997)

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"Unavoidable anticlimaxes": désir et impuissance dans l'œuvre d'Anthony Powell

Catherine Hoffmann (Université de Tours)

Slowly, but very deliberately, the brooding edifice of seduction, creaking and incongruous, came into being, a vast Heath Robinson mechanism, dually controlled by them and lumbering gloomily down vistas of triteness. With a sort of heavy-fisted dexterity the mutually adapted emotions of each of them became synchronised, until the unavoidable anti-climax was at hand. (1)

C'est ainsi que le narrateur implicite du premier roman de Powell, Afternoon Men, décrit une scène de séduction. Le choix de l'analogie, son développement appuyé, la modalisation systématiquement négative et péjorative, tout concourt ici à produire un effet anti-érotique, anti-sensuel et à mettre en relief l'absurde décalage entre la lourdeur du mécanisme et l'insignifiance du résultat. Bien qu'exceptionnel dans l'œuvre d'Anthony Powell, où les moments d'intimité physique appartiennent au domaine du non-dit ou de l'euphémisme, ce passage donne, dès le début de la carrière du romancier, la tonalité du thème sexuel. C'est dans ce domaine que l'œuvre de l'écrivain présente la continuité la plus manifeste par-delà la coupure de la guerre qui sépare en deux périodes esthétiquement et techniquement très différentes une production romanesque étalée sur plus de cinquante ans. Contrairement à d'autres aspects de l'œuvre qui, à partir des années 50 - début de la publication du roman-fleuve A Dance to the Music of Time - subissent des changements

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1. Afternoon Men, p. 83. Les titres des ouvrages cités en référence seront abrégés ci-après comme suit : AM = Afternoon Men ; AQU = A Question of Upbringing ; TAW = The Acceptance World ; TMP = The Military Philosophers ; BDFR = Books Do Furnish a Room ; TK = Temporary Kings ; TKBR = To Keep the Ball Rolling. The Memoirs of Antony Powell.

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radicaux, le thème du désir et de la possession physiques, s'il connaît des évolutions et des développements nouveaux, frappe surtout par la permanence de ses caractéristiques.

L'intérêt de Powell pour l'observation des comportements sexuels ne se dément pas, pas plus que son choix de privilégier leurs facettes négatives: la sexualité épanouie et l'amour heureux n'occupent pratiquement aucun espace textuel. Seuls, les échecs, les frustrations ou les aberrations de l'amour et de la sexualité ont droit de cité dans ses romans, où il est souvent question d'"anti-climaxes", jamais, ou presque, de "climaxes".

Si ce pessimisme s'explique en partie par la mélancolie profonde qui imprègne la vision que les narrateurs powelliens ont de la vie humaine, il ne doit pas masquer les préoccupations artistiques de l'auteur, et principalement celle-ci: comment représenter de manière authentique le désir et la possession physiques en littérature?

Dans un article consacré à une biographie de Casanova, Powell note: "It is not the romp that is important; it is the light the stories throw - if they are indeed true, but not otherwise - on what human beings are really like, the way they live." (2) C'est cette vérité des comportements humains, cette authenticité, pour reprendre un terme souvent utilisé par l'auteur, que l'artiste cherche à atteindre. C'est elle aussi qu'il admire dans les œuvres d'autres artistes, dans les fresques de Tiepolo au Palais Labia, par exemple, où "the suggestion of mutual sexual expectancy on the faces of Antony and Cleopatra is marvellously conveyed" (TKBR 420).

Dans Dance, son roman-fleuve et son œuvre maîtresse, le narrateur oppose implicitement deux représentations du désir physique et de l'amour: celle, mièvre, édulcorée, offerte par la photographie d'un couple d'amants sur une carte postale galante et celle, complexe, ambivalente, inquiétante, d'une fresque imaginaire de Tiepolo dépeignant la légende de Candaule et Gygès. Dans la première icône "The matter was presented as all too easy, the twin flames of dual egotism reduced almost to nothing, so that there was no pain; and, for that matter, almost no pleasure" (TAW 221). Dans la deuxième, à l'inverse, l'art met en relief des émotions universelles: "This last minute retardation in coming to bed had . . . something of all women about it; the King's anticipatory complacence, something of all men" (TK 91).

Pour représenter le désir, le peintre dispose de moyens qui font défaut à l'écrivain, lequel doit contourner son impuissance dans le domaine de la représentation.

Les craquements du divan ou l'approche indirecte

Dès son premier roman, Powell opte pour une approche indirecte et elliptique de la représentation du désir et de la possession physiques. Nous en avons vu un exemple avec

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2. Under Review, p. 349.

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l'analogie du passage cité en ouverture. On pourrait bien sûr y voir simplement une manière élégante d'échapper à la censure. Cependant, cette explication ne vaudrait guère que jusqu'aux années 60. Or, même s'il varie les techniques employées, Powell reste fidèle jusqu'au bout à l'approche oblique dans le domaine de la représentation de la sexualité. Faut-il alors le soupçonner de pudibonderie? Une telle accusation ne serait pas légitime à l'égard du virulent pourfendeur du puritanisme qu'est Powell. En fait, ce parti pris littéraire est fondé sur des considérations d'ordre artistique qui, par souci d'efficacité plus que de bienséance, rejettent le compte-rendu physiologique minutieux aussi bien que l'inventaire inflationniste au profit de l'euphémisme ou de l'allusion. À la fin du passage de ses Mémoires consacré au procès de Lady Chatterley's Lover, Powell livre quelques réflexions sur les limites artistiques des descriptions trop explicites et conclut, à contre-courant de certaines tendances contemporaines: ". . . in many if not most circumstances in the arts restraint, anyway severe discipline, is more effective - if you like, even more erotic - than pedantically reciting the functioning of every organ and every emission" (TKBR 375). L'approche powellienne se situe aux antipodes de ces fastidieuses litanies cliniques, comme le montre le passage suivant, tiré de Afternoon Men :

The divan creaked. Lola said:
'No, dear, no.'
'Yes.'
'No, really, no.'
'Yes.'
'Draw the curtains, then.' (AM 122)

Nous sommes ici en présence d'une ellipse totale. L'action est entièrement suggérée par la notation sur le craquement du divan - qui a valeur d'indice mais aussi de métonymie - et par l'échange verbal entre les deux protagonistes de la scène. Si l'effet visé est principalement humoristique, le passage illustre aussi la manière dont Powell parvient à faire l'économie de la description et du commentaire en recourant uniquement au dialogue. L'intensification des émotions se déduit de l'accélération du dialogue obtenue par la suppression des verbes introductifs et la succession sans pause de répliques brèves, parfois monosyllabiques. Powell utilise cette technique dans toute son œuvre romanesque. Dans l'extrait qui suit, tiré de The Acceptance World (3ème volume de Dance), l'échange des répliques entre les amants se lit comme un combat serré entre l'urgence du désir masculin et la réticence calculée de la jeune femme à y céder:

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'To-night?'
'No.'
'Why not?'
'Not a good idea.'
'I see.'
'Sorry.'
'When?'
'Any time.'
'Will you come to my flat?'
'Of course.'
'When?'
'I've told you. Any time you like.'
'Tuesday?'
'No, not Tuesday.'
'Wednesday, then?'
'I can't manage Wednesday either.'
'But you said any time.'
'Any time but Tuesday or Wednesday.'
(TAW 110-111)

L'enchaînement autonome des répliques dépouillées à l'extrême constitue une transposition stylistique de la contraction physique du désir. Parallèlement les facultés déductives et interprétatives du lecteur sont d'autant plus sollicitées que ces échanges sont codés, d'où l'indéniable satisfaction de se sentir à la fois intelligent et en intelligence avec l'auteur.

Certains des procédés utilisés par Powell pour tenter de résoudre les difficultés posées par la représentation de la sexualité dans la littérature n'apparaissent véritablement que dans l'œuvre de la maturité. C'est le cas, par exemple, de la technique qui consiste à commenter en termes abstraits, quasi philosophiques, des manifestations éminemment physiques. Si ce procédé se rattache par la forme à l'euphémisation, il traduit en même temps une volonté de dépasser le simple phénomène physique pour l'inscrire dans une vision plus globale de l'interaction entre les êtres humains, vision favorisée évidemment par le récit rétrospectif qui caractérise les romans de la maturité. Dans A Question of Upbringing, Jenkins narrateur évoque un instant de révélation vécu par Jenkins personnage vers l'âge de 17 ans à l'occasion de quelques pas de danse esquissés dans les bras de Lady McReith:

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. . . I had become aware, with colossal impact, that Lady McReith's footing in life was established in a world of physical action of which at present I knew little or nothing. . . . It was realisation, in a moment of time, not only of her own possibilities, far from inconsiderable ones, but also of other possibilities that life might hold; and my chief emotion was surprise. (AQU 92)

Une autre technique fréquemment employée dans les romans de la maturité consiste à médiatiser l'évocation de la sexualité, soit par le biais de récits faits par un personnage de niveau diégétique, soit par référence à des œuvres d'art représentant le désir. Le premier procédé permet d'introduire dans le texte des termes plus crus, en tous cas plus explicites, sans que le narrateur extradiégétique ait à les assumer. Dans le passage de Temporary Kings où Mopsy relate à Jenkins l'épilogue torride de sa soirée avec Louis Glober, le contraste entre le discours euphémique du narrateur et le caractère direct des propos de la jeune femme est frappant:

It appeared that the evening at the hotel, anyway the latter part of it, had been less prosaic than might have been supposed at the time. . . . Later that night mutual approval took physical expression.
'Glober did me on the table.'
'Among the coffee cups?'
'We broke a couple of liqueur glasses.
. . . One rather odd thing about Glober, he insisted on taking a cutting from my bush - said he always did after having anyone for the first time.' (TK 77-78)

De la même manière, les propos crus de Pamela - personnage dont il sera question plus loin - forment une sorte de contrepoint brutal aux circonlocutions du narrateur.

Le deuxième procédé pousse beaucoup plus loin l'approche oblique de la représentation de la sexualité. En inventant les objets de fiction que sont la tapisserie de La Luxure et la fresque de Tiepolo, Powell enchâsse dans le récit deux icônes emblématiques des passions qui agitent ses personnages. Représentations visuelles imaginaires, elles sont le miroir de scènes ou de désirs suggérés par le récit mais jamais abordés de front. En plaçant sa deuxième rencontre avec Jean Templer sous les auspices de la Luxure, le narrateur indique la nature de sa future liaison avec elle. L'association entre la tapisserie et cet épisode lui permet d'évoquer ses étreintes avec Jean - "passionate and polymorphous as those depicted on the tapestry of Luxuria" - sans jamais les décrire. Tout au plus le lecteur attentif est-il renvoyé implicitement au couple

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('clenched in a priapic grapple') de la tapisserie mais il n'en apprendra jamais davantage sur les ébats polymorphes des deux amants.

L'insaisissable objet du désir

La représentation du désir et de la possession se dérobe donc toujours à l'écrivain et, par conséquent, est refusée à son lecteur. L'évocation oblique de la sexualité permet ainsi de mettre en lumière les limites du langage littéraire. À cette impuissance artistique fait écho la caractéristique dominante du désir et de la relation amoureuse dans l'œuvre de Powell. En effet, de même que la représentation du désir échappe à l'écrivain, l'objet du désir demeure le plus souvent insaisissable ou, s'il finit par être accessible, sa possession se solde par l'échec, par l'inévitable déception. La femme aimée et désirée reste détachée de la réalité environnante, semble exister dans un autre espace que celui de l'homme qui la désire mais ne peut l'atteindre: ". . . he had the impression that she did not belong to the room and the background that she was in. She seemed separate, like someone in another dimension" (AM 73). Comme Lushington vis-à-vis de Susan, Nicholas Jenkins doute de la réalité de Jean, pourtant devenue sa maîtresse, et exprime l'ambivalence des sentiments et émotions qu'elle fait naître en lui simultanément: "There is always an element of unreality, perhaps even of slight absurdity, about someone you love. . . . I seemed to be looking at a picture of her, yet felt that I could easily lose control of my senses, and take her, then and there, in my arms" (TAW 94).

La violence du désir ne masque pas le caractère illusoire de la possession d'un être perçu comme bi-dimentionnel, image plutôt qu'être de chair et de sang. De surcroît, dans l'œuvre de la maturité, le temps se charge de détruire les dernières illusions de Jenkins. Il découvre en effet des années plus tard qu'à l'époque de sa liaison passionnée avec lui, Jean était aussi devenue la maîtresse d'un personnage méprisable et sans envergure. Du coup, la réalité et la valeur de sa liaison avec elle sont rétrospectivement mises en cause, presque complètement anéanties. Les rencontres ultérieures de Jenkins avec Jean ne font que confirmer cette destruction de son passé amoureux: "Had she really used those words, those very unexpected expressions, she was accustomed to cry aloud at the moment of achievement? Once I had thought life unthinkable without her. How could that have been, when she was now only just short of a perfect stranger?" (TMP 241)

Au moins peut-on observer qu'à défaut de survivre intacte dans le souvenir de Jenkins, sa liaison avec Jean a été jadis source de jouissance. Il n'en va pas de même pour les nombreux personnages de l'œuvre de la maturité dont les tentatives se soldent par de cuisants ou lamentables échecs. On constate en effet qu'en vieillissant Powell s'intéresse de plus en plus aux fiascos sexuels, et à l'usage de ce thème dans la littérature - on trouve par

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exemple dans Dance et dans The Fisher King des références à Armance de Stendhal ou à The Sun Also Rises d'Hemingway. Aux déceptions et souffrances sentimentales des jeunes héros de Afternoon Men ou Venusberg succèdent les contre-performances des personnages de Dance, O! How the Wheel Becomes It! et The Fisher King. L'impuissance n'est pas seulement le lot de quelques personnages secondaires: elle affecte Widmerpool lui-même, le personnage central de Dance, et, bien entendu, Henchman, le héros de The Fisher King. Les personnages féminins ne sont pas épargnés non plus: Pamela dans Dance et plus tard Isolde Upjohn dans O, How the Wheel Becomes It! se révèlent frigides. La frigidité et l'impuissance ne sont jamais dans les romans de Powell source de plaisanterie et de grivoiserie. Elles illustrent le gouffre qui sépare l'idéal de la réalité. Ainsi, Isolde et plus encore Pamela incarnent l'objet du désir, l'idéal de la femme irrésistible. Or elles n'ont à offrir que négation et absence de plaisir : Isolde est "contumaciously frigid and uncooperative." Quant à Pamela, sa soif de sexe ne cache qu'une quête désespérée de satisfaction toujours hors d'atteinte: "It's when you have her. She wants it all the time, yet doesn't want it. She goes rigid like a corpse. Every grind's a nightmare. It's all the time and always the same" (BDFR 239).

Les terres arides d'Eros

L'espèce de rigor mortis qui transforme Pamela en gisant au moment de l'acte sexuel est symptomatique du lien profond, essentiel, qui unit en elle le sexe et la mort. Or Pamela n'est pas un personnage secondaire mais la figure féminine la plus mémorable de Dance, bien qu'elle n'apparaisse que tardivement dans la série. Elle concentre des traits dispersés chez les autres personnages féminins et constitue le paroxysme des incarnations négatives de la femme qui émaillent les romans de Powell. Admirateur de Stendhal, celui-ci semble vouloir illustrer l'adage stendhalien selon lequel "A woman's power lies only in the degree of unhappiness with which she can punish her lover." (3)

Les femmes dans les romans de Powell sont donc principalement décrites en fonction des souffrances qu'elles parviennent à infliger aux hommes, ce qui est cohérent avec le point de vue presque exclusivement masculin des récits. Toutefois, Pamela appartient à une espèce différente. Il faut chercher sa filiation du côté des créatures redoutables qui peuplent les mythologies antiques: ensorceleuses et dévoreuses, femmes-serpents et femmes-démons. Femme fatale au sens étymologique du terme, mante religieuse, elle détruit ses amants et les dévirilise en leur imputant sa propre frigidité. Plus qu'en aucun autre personnage powellien, Eros et Thanatos sont confondus en elle: elle ne peut aimer que les morts et ne peut finalement se donner qu'en se sacrifiant: "Emotional

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3. Traduction de De l'Amour. Citée par Powell dans Under Review, p. 367.

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warmth in her was directed only towards the dead, men who had played some part in her life, but were no more there to do so . . . . It was Death she liked. . . . Would Gwinnett be able to offer her Death?" (TK 109)

La sexualité de Pamela s'exprime par la négation des forces vitales et ne peut être ni source de plaisir ni source de vie. Il faut reconnaître que, sur ce dernier point, Pamela ne diffère pas de la majorité des personnages féminins créés par Powell; la femme powellienne a rarement une descendance: avortements, fausses couches, enfants morts à la naissance, ou simple refus de procréation, le ventre de la femme n'a rien d'un nid fécond et protecteur. La stérilité de la sexualité de Pamela s'inscrit dans ce refus ou cette impossibilité d'engendrer caractéristiques de la plupart des personnages féminins. En outre, ses liens étroits avec la mort impliquent qu'elle soit à la fois frigide et stérile.

Dans son dernier roman, publié en 1986, Powell reprend et développe sous d'autres formes le double thème de l'impuissance et de la stérilité en s'inspirant du mythe du roi-pêcheur. Figure centrale de la légende du Graal, ce personnage, atteint d'un mal mystérieux qui répand aussi la désolation sur les terres de son royaume, a inspiré de nombreux artistes. Parmi les multiples versions de la légende, Powell choisit la plus explicite: celle qui attribue la cause de la désertification du royaume à l'émasculation du roi-pêcheur: "The Fisher King's wound had deprived him of his virility. As King he was emblem of Fertility to his people. The realm would remain barren as long as the King was sexually mutilated" (FK 23). Le roi-pêcheur, à l'inverse de Pamela, n'est pas à l'origine une créature de mort, mais au contraire une source de fertilité. C'est la perte de sa virilité qui est à l'origine de l'aridité de son royaume: la thématique de l'impuissance et de la stérilité est traitée ici comme l'envers des thèmes de la fécondité et de la régénération.

Le roi-pêcheur du roman de Powell, Saül Henchman, mutilé par un obus pendant la guerre et devenu impuissant, a pour royaume ce qui est à la fois son art et sa source de revenus: la photographie. Or, nous découvrons au fil du roman le déclin du royaume de Henchman, déclin non pas au niveau financier mais tarissement interne de la source créative. La mutilation physique et l'impuissance sexuelle de Henchman se reflètent dans la perte de son inspiration. Si l'on poursuit l'analogie avec le mythe du roi-pêcheur, on peut même considérer que l'impuissance gagne par contamination les facultés créatrices du photographe de même que le mal du roi se transmet à son royaume. Henchman lui-même attire l'attention sur le parallèlisme entre l'impuissance physique et la stérilité artistique:

I am suffering from a sense of my own photographic powers running dry . . . . Photographers have been known to find that they can take no more photographs. The art has left them. They have exhausted their powers. Like writers who have written

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themselves out, painters whose touch has gone. . . . In the physiological sphere, I might add womanizers who have lost desire, or are unable to possess. (FK 93)

Ainsi, dans cette œuvre ultime, l'impuissance sexuelle devient-elle métaphore de l'épuisement de l'imagination créatrice. Powell y réunit par les liens de l'analogie ses préoccupations artistiques et sa fascination pour les versants négatifs de la sexualité. Peut-être y signifie-t-il aussi, de manière allégorique, son propre renoncement au roman? Le désir et l'impuissance apparaissent finalement comme la traduction physique de la futilité des actions humaines, une sorte de résumé impitoyable de la condition humaine, si bien que l'œuvre de Powell, malgré son humour, laisse une impression de profonde mélancolie. L'imagination, longtemps après la lecture, reste hantée par la silhouette désincarnée de Pamela flottant dans la nuit vénitienne et celle de Henchman s'éloignant vers l'horizon de Thulé, l'au-delà du monde des vivants, figures emblématiques de la désolation qui règne sur les terres d'Eros.

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Les œuvres d'Anthony Powell citées ci-dessus

Afternoon Men, Londres: Duckworth, 1931; Heinemann, 1952 (réimpression 1988).

Venusberg, Londres: Duckworth, 1932; Harmondsworth: Penguin Books, 1961 (réimpression 1984).

A Dance to the Music of Time. L'édition utilisée est l'édition Flamingo en douze volumes, Londres: Fontana Paperbacks.

Vol. 1: A Question of Upbringing, Londres: Heinemann, 1951 (Flamingo, 1983).

Vol. 3: The Acceptance World, Londres: Heinemann, 1955 (Flamingo, 1983).

Vol.9: The Military Philosophers, Londres: Heinemann, 1968 (Flamingo, 1983).

Vol.10: Books Do Furnish a Room, Londres: Heinemann, 1971 (Flamingo, 1983).

Vol.11: Temporary Kings, Londres: Heinemann, 1973 (Flamingo, 1983).

O, How the Wheel Becomes It!, Londres: Heinemann, 1983; Harmondsworth: Penguin Books, 1984.

The Fisher King, Londres: Heinemann, 1986; Sevenoaks: Hodder and Stoughton, 1987.

To Keep the Ball Rolling: The Memoirs of Anthony Powell, Harmondsworth: Penguin Books, 1983.

Under Review: Writings on Writers 1946-1990, Londres: Heinemann, 1991.

(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n° 11. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1997)