(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n°  Hors Série. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1997)

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Virginia Woolf : "The Lady in the Looking Glass" [1] Portrait(s) de dame(s) avec miroir

Liliane Louvel (Université de Poitiers)

"Ecrire, tuer quoi" Henri Michaux [2]

Tout de même, quelle "drôle d'histoire" que cette "dame au miroir" ! Un de ses familiers posté à l'intérieur de la maison observe le jardin reflété dans un miroir, tout en inventant une vie, des aventures à la maîtresse des lieux. Lorsqu'apparaît son reflet tout s'effondre : il ne reste plus rien. Le courrier, ce ne sont que des factures ! Elle ne les ouvre même pas ! Comment lui en vouloir aussi ? Pourquoi adopter un ton aussi décapant ? Pour se venger d'un personnage autour duquel on a tant "cristallisé" ? Dépit amoureux ? On le voit, ce texte pose une série d'énigmes qui nous guideront dans le labyrinthe : pourquoi le miroir ? Pourquoi le masque de "One" ? Pourquoi cette abondance de répétitions et de figures qui dès la première lecture installent la réitération ? Pourquoi enfin le vide de la fin ? la chute brutale du personnage rejeté dans le néant ?

Posons que la métamorphose est un devenir, celui de l'objet transfor-mé sous le regard, oeuvre de l'imaginaire précédant la mise en mots. Mots-clés de la métamorphose : "devenir," "être changé en," l'apparence se transforme, l'essence perdure. Comme dans le vivre aussi, qui est changement. Soi-même devient autre, à son insu. Aporie et hiatus, la métamorphose se situe entre apparence et apparition ; [3] figure de l'oxymore, elle est aussi arrêt du mouvement. Voilà le lecteur face à une expérience qui se déroule et se métamorphose, sa structure en est

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1. Virginia Woolf, "The Lady in the Looking Glass", A Haunted House and Other Stories. Harmondsworth: Penguin (1944) 1975.
2. Michel Mesnil, "Métamorfilms", Corps écrit, "La métamorphose", N°26, PUF, 1988, p. 147-148.
3. Mireille Calle-Gruber, "La métamorphose à l'oeuvre", Corps écrit , p. 97.

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témoin. Histoire d'une triple initiation, elle est lecture métaphysique, expérience phénoménologique, et réflexion sur la pensée créatrice. Métamorphose, donc : "entre" deux "formes" et la mor(t) au milieu, inéluctablement.

Une femme dans un miroir ? Serions-nous face à l'un des "poncifs" [4] de la représentation picturale, une "Vanité" ? Méfions-nous, la nouvelle est de Virginia Woolf ! "La dame au miroir" ou comment Virginia métamor-phose la chose. Et l'oeuvre pense, "réfléchit" alors que la dame n'est pas là où on l'attend. Ut theoria poesis, la théorie à l'oeuvre. Une leçon de poétique et d'esthétique. Une gageure.

Première énigme : le pourquoi du miroir

Le cadre du miroir, ses enjeux, la contemplation, le reflet, le double, l'inversion, la réduplication, dessineront le cadre de ce travail. Le miroir se présente comme réservoir d'images, [5] un réservoir de sens. Il mime le processus de la représentation, d'où ses liens avec le pictural, d'abord par le biais du cadrage - ce que l'on entend dès l'incipit : "People should not leave looking glasses hanging in their rooms anymore than they should leave open cheque books or letters confessing some hideous crime," dérive à partir d'une parole en forme de conseil, repris dans la clausule, dernière phrase-paragraphe et moralité péremptoire : "People should not leave looking-glasses hanging in their rooms." Réaffirmation, et condensa-tion de la première phrase, coup d'arrêt/coupure. Le cadre de la nouvelle du schéma circulaire, qui se boucle sur lui-même et invite au recommen-cement, fait plus subtilement résonner sa structure aurale copiée sur sa structure visuelle et symbolique, puisque la fin fait écho au début en un équivalent narcissique du reflet. On se souvient alors que la nymphe Echo était éprise du beau Narcisse.

Outre l'effet-cadrage emprunté au miroir, la nouvelle en mime la spécu-larité, reposant sur le triangle de la médiation : objet/sujet/miroir et - amusons-nous - les trois V du nom de l'auteur, le triplement de l'initiale en passant par le "double you." Le point de départ semble être la notation du Journal : " How many little stories come into my head ! For instance : Ethel

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4. Poncif dont le double sens est celui de cliché mais aussi et d'abord de "contour" tracé grâce à la terre rouge et au "poncif" comme dans les fresques. On sait que le contour tracé par la fille du potier Boutadès autour de la figure de son amant sur le point de partir en voyage serait l'origine mythique de la peinture.
5. Agnès Minazzoli, La Première ombre. Paris: Minuit, 1990.

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Sands not looking at her letters." [6] Le texte opère une réécriture sur le mode ternaire. Exercice de reprise d'une "scène," du triangle Ethel Sands/miroir/Virginia Woolf, à celui d'Isabella Tyson/miroir/"One." Le même et l'autre travaillent ici sous les yeux du lecteur. Le schéma de base contenu entre les bornes de l'incipit et de l'excipit révèle non pas un récit mais trois micro-récits ayant chacun pour sujet Isabella et la pensée qui s'interroge sur les secrets du personnage : le premier (§1-§4) est interrompu par l'arrivée du facteur qui déclenche le second (§5 à §8). L'irruption du personnage dans le miroir, signalée avec humour par "it made one start," démarre le troisième récit, se terminant par la perte des illusions, le déni et le désaveu.

Chaque partie contient les mêmes éléments inlassablement variés, mimant le devenir du même dans l'autre, signifiants liés entre eux comme dans une torsade, ou plutôt ici une chaîne, un rameau souple, celui des volubilis, des clématites et nous le verrons, des polysyndètes. La métamorphose figure au programme scriptural de la nouvelle, comme une réitération, une obsession, comme si chaque partie était un brouillon tendu vers la vérité de la forme. En même temps il s'agit de mimer le passage du temps, vécu ici "en temps réel," par déplacement et tressage de signifiants. Par cet engendrement réciproque, semblable aux formes imbriquées de Escher, on passe de l'une à l'autre, jusqu'à la dégénérescence de la forme. Les mots pressés de se reproduire disent la monstruosité commune, selon Borgès, [7] à la copulation et aux miroirs

Outre les répétitions lexicales dont le texte est truffé, [8] on observe la métamorphose des chaînes syntagmatiques et des empilements paradig-matiques : ainsi "looking-glass" du titre se retrouve dès la première phrase sous sa forme plurielle. Puis, la substitution sémantique et phonologique s'effectue : de "looking-glass" on passe à "see"/"glass" puis à "see"/ "grass," mimant le glissement qui s'effectue lorsque l'on passe du miroir à la chose reflétée, le chemin, "grass path," "garden path," "grass path," et enfin "the grass walk" lorsque, justement, Isabella "avance" dans le miroir. La graphie métamorphose les mots et les phrases. "Rugs," "cabinets,"

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6. A Writer's Diary, September 28th 1927. St Albans: Panther Books, 1978, p. 116.
7. " Nous découvrîmes (à une heure avancée de la nuit cette découverte est inévitable) que les miroirs ont quelque chose de monstrueux. Bioy Casarès se rappela alors qu'un des hérésiarques d'Uqbar avait déclaré que les miroirs et la copulation étaient abominables, parce qu'ils multiplient le nombre des hommes." Jorge Luis Borgès, "Tlön Uqbar orbis Tertius", Fictions. Paris: Gallimard (1956) 1983, p. 35.
8. Comme "travellers' joy", "convolvulus", "walls", "looking-glass", "letters"...

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"drawers," "letters," sont inlassablement repris et modulés jusqu'à la fusion explicite : "and then she was full of locked drawers, stuffed with letters like her cabinets." Glissements et déplacements, autant de déclinaisons, de torsions de la forme, comme c'est le cas de ces supports favoris des métamorphoses imaginaires, les nuages, qui suivent l'apparition et la disparition du reflet d'Isabella, sujets de la rêverie et frémissements de voile : "veiled with silver," "clouding it like a human being," deviennent par enjambements de syntagmes : "a veil of cloud," "lacy clouds veiled her face," et enfin "thoughts in clouds of silence," où le silence voile la pensée, enfin "clouds fell from her," qui s'embranche clairement sur l'isotopie de l'humain et de la pensée par le biais de la pièce "room."

[The nocturnal creatures] came pirouetting across the floor, stepping delicately with high-lifted feet and spread tails and pecking allusive beaks as if they had been cranes or flocks of elegant flamingoes whose pink was faded, or peacocks whose trains were veiled with silver. And there were obscure flushes and darkenings too, as if a cuttlefish had suddenly suffused the air with purple; and the room had its passions and rages and envies and sorrows coming over it and clouding it like a human being.

Repris en écho un peu plus loin :

Her mind was like the room, in which lights advanced and retreated, came pirouetting and stepping delicately, spread their tails, pecked their way; and then her whole being was suffused, like the room again.

Les "créatures nocturnes" absentes dans la deuxième occurrence, se sont métamorphosées, en pirouettes de "lumières," articulées sur des parallélismes internes à la même phrase dans le second exemple : "mind"/"room," "being"/"room," et des échos chiasmatiques : "room"/ "being" (en 1), "being"/"room" (en 2), avec transformation et saturation après la rétrolecture alertée par la répétition de "suffused." C'est le même travail qui est à l'oeuvre dans les interludes de The Waves où les oiseaux, le soleil, la mer, et le jardin, sont repris, modifiés, transformés, travaillant le texte dans sa profondeur. [9]

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9. "What interests me in the last stage was the freedom and boldness with which my imagination picked up, used and tossed aside all the images, symbols which I had prepared. I am sure that this is the right way of using them - not in set pieces [...] but simply as images, never making them work out ; only suggest. Thus I hope to have kept the sound of the sea and the birds, dawn and garden subconsciously present, doing their work under ground." W.D., Feb 7th 1931, p. 166.

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Seconde énigme : "l'eau" du miroir et le reflet inversé

La nouvelle peut se lire comme une initiation, celle du narrateur à la véritable nature d'un personnage, découverte de la réalité sous les appa-rences et expérience métaphysique où le rôle mortifère du miroir fait retour. Quête de la vérité, de la connaissance : quand voir c'est savoir. Les champs sémantiques le confirment, la quête herméneutique affleure sous le texte, sous la forme de la répétition inlassable de "knowing" et de ses équivalents obscurs : "conceal," "secret." Logique, quand on sait que les "miroirs" médiévaux étaient des livres contenant le savoir de l'époque, tel le Speculum majus de Vincent de Beauvais. [10]

"People should not leave," le parallèle honteux est établi entre les miroirs, les chéquiers et les lettres "confessant quelque crime abomi-nable" : trahison et révélation figurent à l'incipit du texte. "Chance had so arranged it" et voilà le narrateur déculpabilisé : s'il voit dans le miroir, c'est le hasard : en même temps la révélation associée à la faute, rappelle l'expérience première de Virginia Woolf face au miroir de Talland House, "the looking-glass shame." [11] Des relents de puritanisme sont perceptibles, qui condamnent la tendance au narcissisme, renforcée par l'ambigu, "The Italian glass," qui connote certes l'art et la beauté, mais qui est aussi plus trouble si l'on songe au gothique, [12] le miroir serait-il alors doublement traître parce qu'italien ?

Le caché est montré : "the room that afternoon was full of such shy creatures, [...] things that never happen, so it seems, if someone is looking," car la pièce semble subir une métamorphose, comme dans les contes, tel "Casse-noisettes" : l'inversion entre le jour et la nuit qui préside à la rêverie éveillée du sujet confronté aux "créatures nocturnes" signale le retour du refoulé, unheimlich. "Inquiétante étrangeté" de l'expérience lorsque la pièce vide se peuple de mouvements tandis que la mort attend dans le miroir. Les "créatures nocturnes" aux déplacements d'oiseaux risquent de se métamorphoser en flamands roses ou en paons somptueux

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10. Voir à ce sujet Agnès Minazzoli , p. 15. Le Speculum majus de Vncent de Beauvais était une véritable encyclopédie du XIIIème siècle.
11. cf. "A Sketch from the past", Moments of being, St-Albans: Panther Books, 1976.
12. Comme dans The Italian de Ann Radcliffe.

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et les "choses" "which now lived their nocturnal life before one's eyes," en savent plus long sur Isabella que "we."

Le personnage disparaît pour réapparaître à la fin, une fois le rite accompli. La nature de l'initiation-prétexte : découvrir un familier, révèle la véritable nature de l'expérience dans laquelle "one" est engagé : un voyage intérieur. Ce que révèle l'espace de la pièce, certes clos mais aussi ouvert sur un espace entre-deux, celui du couloir au miroir reflétant la table en face et le jardin, perçus en vision oblique, comme l'accès à la connaissance. La révélation finale est de plusieurs ordres : psychologique et sociale, "Isabella was perfectly empty. She had no friends," qui signifie l'effondrement de l'échafaudage imaginatif. Métaphysique : les êtres ne sont que des ombres, tout n'est que passage et changement dans la pièce où la vie va bon train, tout n'est que fixité et silence dans le miroir : "It was a strange contrast - all changing here, all stillness there" et "one" d'entendre "the voice of the transient and the perishing, it seemed, coming and going like human breath, while in the looking-glass things had ceased to breathe and lay still in the trance of immortality." Suspens infini de la métamorphose du vivant, comme l'art, le miroir a arrêté le temps. "Nature morte," "still life," le miroir coupe et tranche : "until, slicing off an angle, the gold rim cut it off," "had vanished sliced off by the gilt rim of the looking-glass." Isabella est figée à jamais dans son reflet comme Narcisse, pétrifiée. "She stopped dead."

Incarnant la tentative de maîtriser l'une des terreurs d'enfance de Virginia : "death in the garden," [13] Isabella prend le triple masque des trois Parques, donnant son sens à la structure ternaire, celle des trois âges de la vie. Armée de ciseaux, "raising the scissors that were tied to her waist to cut some dead flower some overgrown branch," elle suspend son geste, "she stood with her scissors raised to cut the trembling branches while the lacy clouds veiled her face," puis se métamorphose en Atropos-Isabella dans la phrase qui suit immédiatement : "Here with a quick movement of her scissors she snipped the spray of travellers' joy and it fell to the ground." Isabella, celle qui tranche le fil, comme le miroir tranche sa vie, et confère l'immortalité du vif arrêté. Le miroir pré-existe et post-existe au reflet, devient pertuis par où va et vient la mort. Vanité au miroir donc,

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13. Allusion au passage dans "A Sketch of the Past", Moments of Being, où Virginia Woolf rappelle l'une de ses terreurs d'enfant lorsqu'elle a entendu raconter la mort de Mr Volpy pendu dans le verger, terreur évoquée de nouveau dans The Diary quand Virginia déclare que The Waves est une façon de conjurer sa peur.

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miroir de vanité (Mignazzoli 107), cette "Dame au miroir," et on retourne au début de cette partie. Un miroir n'est-il pas d'abord de la lumière qui revient ? Comme dans la métamorphose du mythe qu'Alberti lisait comme origine de la peinture, les rayons reviennent perdre Narcisse le changeant en Narcisse-la-fleur. Exploitant le double sens de "reflection," la pensée revient en boucle vers son origine et instaure une interrogation sur la vérité, le passage du temps, car l'homme connaît qu'il est mortel.

Troisième énigme :
Le pourquoi de "One," l'autre "dame au miroir"

Où l'on en apprend davantage sur soi-même que sur l'objet de ses pensées.

Dans le retour incessant du sujet sur lui-même, la nouvelle indique qu'il s'agit là d'une expérience phénoménologique examinant le fonctionne-ment de l'humain dans sa relation au sensible. L'oscillation entre la perception de la forme et la reconnaissance, entre forme et sens, est aussi tentative d'atteindre la vérité de l'être dans sa nudité, son essence. Le texte suit l'échange entre perception et pensée qui s'éprouvent dans une expérience sensitive et cognitive. Les oiseaux, pensées/lumières/ créatures nocturnes, symboles de l'âme et de la création, leitmotiv woolfien, rappellent que tout dépend du "point de vue" ; l'instabilité du texte, comme celle du lieu : "Nothing stayed the same for two seconds together," que toute connaissance est en perpétuel devenir.

Le narrateur choisit "one" pour habiter le texte. Or cet androgyne (corroboré par le double symbolique) [14] produit une étrange impression de désincarnation, de distance et de proximité puisqu'il est à la fois dans le récit en tant que personnage-focalisateur posté dans la pièce - les déictiques en font foi - et hors du récit lorsque les ruptures temporelles effectuent des remontées vers le temps de l'énonciation. Le narrateur semble se livrer à un mono-logue intérieur, une réflexion sur une expérience passée, ici et là. La rupture qui intervient au début du quatrième paragraphe est d'autant plus brutale que l'analepse définit nettement le narrateur comme source du savoir contrairement à ce que laissaient attendre les modalisations et les marqueurs d'incertitude, qui précédaient. "Half an hour ago the mistress of the house, Isabella Tyson had gone down the

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14. Voir Guy Rosolato, Essais sur le symbolique. Paris : Gallimard, 1969, p. 19-21.

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grass path in her thin summer dress." Tout à coup c'est une voix ferme qui rompt le texte et brutalise les temps : "ago" habituellement repéré par rapport à un présent d'énonciation est ici associé à un passé d'un passé. Le brouillage énonciatif et l'inversion de l'ordre chronologique canonique déstabilisent le lecteur projeté dans le récit distancié. Il s'interroge : qui est ce "one" qui semble savoir et ne pas savoir ? Si ce n'est le moi clivé entre unité et pluralité, sujet/objet, énonciation/énoncé. La fusion avec l'autre-qui-doute s'effectue trois lignes plus bas par la réintroduction de "presumably" et l'aveu : "The comparison showed how very little after all these years, one knew about her."

Le champ lexical de la spéculation [15] dépeint la pensée en action. C'est véritablement à une opération de dénotation/connotation, de gestalt, que se livre "one" depuis son poste d'observation, sujet/objet de l'expé-rience. Comme dans le retour du refoulé annoncé par les "créatures nocturnes," le brouillage du monde sensible produit un effet d'inquiétante étrangeté qui perturbe narrateur et lecteur et crée le flou de la perception rendu par l'un de ces subtils glissements de signifiants déjà repérés. Une forme sombre s'interpose entre regard et miroir et métamorphose l'image.

A large black form [...] strewed the table with a packet of marble tablets veined with pink and grey [...]. But the picture was entirely altered. For the moment it was unrecognizable and irrational and entirely out of focus. One could not relate these tablets to any human purpose. And then, by degrees some logical process set to work on them and began ordering and arranging them and bringing them into the fold of common experience. One realized at last that they were merely letters. The man had brought the post.

La déconstruction du visible : "unrecognizable and irrational and entirely out of focus," affole la raison et révèle la dissociation entre la perception et le sens, la rupture béante entre signifiant et signifié, le lien manquant : "could not relate." C'est ce que montre la disjonction et l'inversion du cliché : "the man had brought the post." Soulagement, la forme noire inquiétante était le banal reflet inversé de "the postman." Aussitôt se déclenche toute une série de réflexions sur les réactions et les capacités de "one," le fonctionnement de la pensée et de la perception. Ce que

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15. Ainsi par exemple : "surely"," perhaps", "seemed", "must", "almost certainly", presumably", "if one would, "judging from the mask-like indifference", "under the stress of thinking about Isabella".

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montre une fois de plus la série de déplacements métonymiques préparés, depuis le début de la nouvelle, par "marble topped table," annonçant la métamorphose des lettres en "marble tablets veined with pink and grey," repris dans "these tablets," "merely letters," "on the marble-topped table," "tablets graven with eternal truth," réapparaissant enfin dans "marble-looking envelopes." Solution de l'énigme : le marbre de la table avait contaminé les lettres, les changeant en tablettes de marbre, par contiguïté.

La description d'Isabella fonctionne selon le même modèle. D'absente dans la première partie, elle est morcelée dans la seconde, réduite à ses chaussures, son visage flou. Enfin elle arrive : "one verified her by degree fitted the qualities one had discovered into this visible body. There were her grey-green dress, and her long shoes, her basket, and something sparkling at her throat," identifié quelques lignes plus bas par "a diamond." L'inversion opère de nouveau puisque la définition de diction-naire précède son "entrée." Comme dans un tableau cubiste, il s'agit de rassembler les éléments épars : quand la gestalt s'impose, l'image prend sens.

L'enjeu de l'expérience de la dame au miroir est donc d'en savoir plus sur l'humain : "if one could read them, one would know everything there was to be known about Isabella, yes, and about life too," par le prétexte de la mince intrigue, de l'auto-observation, et bien entendu du "méta" de métamorphose, et de métaphore. Quand la forme littéraire se transforme et réfléchit, l'expérience de "la dame au miroir " se poursuit sous d'autres masques. Déjà l'allitération des trois "l" du titre, qui aurait été impossible avec "mirror", disait le choix poétique du rythme ternaire. "The" se réfère à du déjà connu, la "dame" sans nom, est absorbée par le miroir, "in the looking-glass," c'est-à-dire par une activité (looking) culminant dans un "moment de vision." L'image renvoyée en retour à l'énonciateur, sujet regardant, passe de l'objet réfléchi au sujet pensant. L'ambiguïté du sous-titre, "a reflection," fournit l'image-miroir du titre, un commentaire indiquant la nature réflexive du texte et son double sens : reflet dans le miroir et de la pensée incarnant la perte associée au "reflet," ce double amoindri, ce lointain "écho" de la réalité.

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Quatrième énigme : Le pourquoi du figural

Poursuivant la série de clivages et de retournements "one" se dédouble encore entre sujet/objet de l'expérience phénoménologique et sujet créateur. Barthes rappelait :

Nous avons en français une ambiguïté précieuse de vocabulaire : le "sujet" d'une oeuvre est tantôt son "objet" (ce dont elle parle, ce qu'elle propose à la réflexion, la quaestio de l'ancienne rhéto-rique), tantôt l'être humain qui s'y met en scène, qui y figure comme auteur implicite de ce qui est dit (ou peint). [16]

Outil indispensable de l'autoportrait, le miroir désigne la direction opposée et renvoie à "one" : "I want to watch and see how the idea at first occurs. I want to trace my own process." (W.D. 105) Par ce détour articulé sur le triangle de la médiation, la projection de l'imaginaire révèle la création à l'oeuvre : ainsi, une "scène" où une "vision," point de départ enrichi par toute une série d'associations, permet de construire une histoire (les micro-récits suggèrent des embryons d'histoires possibles, des bifurcations, des leurres aussi). Le miroir sert de métaphore à l'activité d'écrire, par la vision indirecte ; microscope et télescope, il construit un monde, un microcosme nourri de micro-récits.

La nouvelle devient expérience esthétique, essai de théorie à l'oeuvre, quand l'art est auto-réflexif, et rappelle la "Vanité," la pensée de la pensée, du langage sur du langage, expérience narcissique et mortifère. Les changements de formes le disent, ce que l' "on" essaie d'effectuer, c'est une mutation, rupture et innovation. La création est au coeur du texte ; elle oeuvre contre les conventions, celles du roman victorien et édouardien. Face à cette crise du sujet, àce sujet en crise, il s'agit d'avancer seul(e). D'où le goût pour les chrysalides et leurs métamorphoses, comme ces "phalènes" dont Woolf décrivait le vol au moment de l'écriture de "La Dame." Rappelons que "l'image" est le nom de l'insecte qui a subi toutes ses métamorphoses.

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16. Roland Barthes, L'Obvie et l'obtus. Paris: Seuil, 1982, p. 175.

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Portrait de l'artiste en entomologiste : Morpho Virginia. [17]

Le narrateur/figure de l'artiste, par le truchement de "one" adopte le ton détaché du scientifique et se peint en "naturaliste" : "like one of those naturalists who, covered with grass and leaves, lie watching the shyest animals," ou plutôt comme un entomologiste, qui étudie les insectes, les épingle et les fixe sous verre. Au moment où le personnage semble vouloir échapper et où le suspense redouble, c'est la pensée qui déclenche l'action.

The thought served as a challenge. Isabella did not wish to be known - but she could no longer escape, prise her open with the first tool that came to hand - the imagination. One must fix one's mind upon her at that very moment. One must fasten her there.

Repris un peu plus loin : "one must put oneself in her shoes," aussitôt mis en procès par l'ironie "if one took the phrase literally, it was easy to see the shoes in which she stood [...] like everything she wore they were exquisite." Ainsi se disent tout à la fois la critique de la position de l'écrivain "naturaliste" ou "réaliste" qui emprunte le caractère du personnage, le désir d'empathie, de connaissance de l'intérieur : "to talk of prising her open as if she were an oyster." [18] Jusqu'à l'image finale, le renversement de l'image d'Isabella/Atropos en Isabella/victime : "She stopped dead. [...] She stood perfectly still. At once the looking-glass began to pour over her a light that seemed to fix her ; that seemed like some acid to bite off the unessential." L'analyse tente de disséquer la créature avant de l'asperger d'un acide qui ronge les chairs jusqu'à l'os. La lumière liquéfiée devient substance chimique qui dissout l'apparence pour atteindre l'essence. L'écrivain viole son sujet, par le biais de l'imagination, dont le rôle prépondérant en fait l'outil privilégié dans la quête de la vérité, renonçant à

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17. Terme "emprunté" à l'une des "novella" de Antonia Byatt dans Angels and Insects, "Morpho Eugenia". New York: Vintage (1992) 1994.
18. La même comparaison apparaît dans The Death of the Moth, "Street Haunting: a London Adventure" : "But when the door shuts on us, all that vanishes. The shell-like covering which our souls have excreted to house themselves, to make for themselves a shape distinct from others, is broken, and there is left of all these wrinkles and roughnesses a central oyster of perceptiveness, an enormous eye." (24) On entend "I", à rapprocher aussi de ce passage de The Waves, montrant la grande cohérence de la création chez Woolf  : "Thus I visited each of my friends in turn, trying with fumbling fingers, to prise open their locked caskets." (180)

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l'imitation servile par le détail réaliste, dans une perspective naturaliste chosiste.

L'abondance des figures dit la tension vers la vérité, la faillite du langage dans sa tentative de capturer et de transpercer d'une épingle le sujet comme l'entomologiste ou l'écrivain réaliste dont on sait tout le mal que pensait Virginia Woolf [19] : "This appalling business of the realist : getting on from lunch to dinner : it is false, it is unreal, merely conventional. Why admit anything to literature that is not poetry - by which I mean saturated ?" [20] Au service de l'imaginaire, il y a le langage poétique ; non pas l'écart, mais "la création d'une langue étrangère à l'intérieur de la langue," comme le préconisait Deleuze. Le narrateur attire l'attention sur la fonction heuristique de la figure : "she suggested the fantastic and the tremulous convolvulus [not roses] like lamps on the straight posts of their rose trees. The comparison showed how very little after all these years, one knew about her," outil paradoxal qui tout en énonçant la vérité du personnage signifie l'échec de la tentative. Dire l'indicible, approcher au plus près de la forme c'est rester irrémédiablement en deçà. D'où l'abondance des métaphores et des comparaisons qui enveloppent le texte de leur fin réseau comme les fils de soie du cocon entourant la chrysalide. Notons que "like" apparaît 8 fois, "seemed" 10 fois, "as if" 6 fois, creusant l'écart entre la représentation et la chose. L'enjeu est ailleurs, dans la réalité du langage, le véritable sujet de l'écriture. C'est dans l'oscillation métaphoro-métonymique que se joue le drame du dire. On a vu comment les glissements s'effectuaient, comment l'on passait de "marble-topped table" à "marble-looking envelopes," comment essayant de cerner Isabella le narrateur partait d'une comparaison - "her mind was like her room" - pour utiliser une métaphore bloquée par une seconde comparaison : "she was full of locked drawers stuffed with letters like her cabinets," enfin comment la vérité devenait un mur : "there must be truth ; there must be a wall" devenant : "here was the hard wall beneath. Here was the woman herself." La vérité de la femme est dure et implacable. Le recours au rhétorique ajoute la force de l'image à la pensée et suspend la lecture. Le lecteur doit déployer la métaphore pour atteindre le mur du mur, derrière

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19. Voir les véritables manifestes littéraires que constituent par exemple "Mr Bennett and Mrs Brown", dans The Captain's Death Bed, and Other Essays. London: The Hogarth Press, 1950, et "Modern Fiction", dans The Common reader. London: The Hogarth Press, 1957, deux textes déclarant la nécessité d'écrire contre les conventions et de laisser libre cours à l'imaginaire et aux perceptions, refusant de camper des personnages "réels."
20. W.D., Nov 28th 1928, p. 138.

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la métaphore figée - "turned to the wall" - qui dit la défaite, et au-delà, l'inversion de la loi - "law" - palindrome in absentia.

Les polarités et les nombreuses antithèses sont autant d'oscillations du sens. [21] Le personnage d'Isabella repose sur un système de répétitions et de variations qui mettent en avant moins le personnage que le processus à l'oeuvre dans ce portrait d'une femme riche ayant mené une vie censée être romanesque mais stérile. Le texte signifie la difficulté d'en rendre compte et la nécessité du détour pour accéder à la vérité : "Under the stress of thinking about Isabella, her room became more shadowy and symbolic; the corners seemed darker, the legs of chairs and tables more spindly and hieroglyphic." Le double zeugme révèle la tension de la pensée et le recours à l'alliance de deux ordres différents : le visible (shadowy, spindly), et l'invisible (symbolic, hieroglyphic) appartenant au domaine du "scriptural," du cryptique, appelés par la communauté de formes (le flou de l'ombre, le dessin aigu des pieds de meubles).

Enfin, dernière figure remarquable, fortement sollicitée par le texte et le réseau botanique, les chaînes des polysyndètes. Liens minimaux ration-nels, ils apparaissent lors de l'exercice de la réflexion et l'entrelacs du sensible : "And then it was strange to see how they were drawn in and arranged and composed and made part of the picture and granted that stillness and immortality which the looking glass conferred." Surtout, ils semblent se développer comme les souples lianes des plantes grimpantes et rampantes, associées elles aussi au personnage : "had gone presumably [...] to pick something light and fantastic and leafy and trailing, travellers' joy, or one of those elegant sprays of convulvulus that twine round ugly walls and burst here and there into white and violet blossoms." Ce que montre la dérive de la coordination, c'est la trame du texte, la chaîne du langage, l'axe syntagmatique sur lequel se projettent, en corolles blanches ou violettes, les substitutions paradigmatiques. La citation suivante nous alerte : "Everything dropped from her - clouds, dress, basket, diamond - all that one had called the creeper and the convolvulus, here was the hard wall beneath. Here was the woman herself. She stood naked in the pitiless light. And there was nothing."

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21. Relevons par exemple les couples suivants : dehors/dedans, apparences/réalité, droit/flexible, loin/près, plein/vide, ombre/lumière, savoir/ignorer, éphémère/immortel, vie/mort, esprit/corps.

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Sous les arabesques des clématites et les volutes des volubilis, les ornements rhétoriques du langage sollicités par l'imaginaire, ce sont les lianes du discours qui comptent, non la forme qu'ils semblent recouvrir, puisqu'ils sont la forme. Dernier renversement, celui du plein en vide, il n'y a rien en dessous ou au-delà de l'écriture, que l'écriture. Le personnage est vide, forcément, comme le vide de la forme-prétexte du nom-prétexte Isabella Tyson/Tiresome ? ou le lien de "Tie some" ? [22] Il n'est qu'un "masque," un double, qu'il faut nécessairement détruire dans l'affrontement narcissique, pour préserver un territoire. La tension se poursuit vers un au-delà du sensible, une autre révélation. Il n'est pas d'autre temps que l'entre-temps du texte. Torsion du voir qui passe par l'imaginaire : la rêverie de tout un chacun un peu enclin à laisser dériver sa pensée, le "plus" du créateur c'est le "rendu" de cette opération imaginaire par la médiation. C'est ce que montre Virginia Woolf ici, un travail des mots sur les mots, un rythme, une reprise inlassable des mêmes segments pour écrire et non raconter si ce n'est raconter que l'on écrit. "But one was tired of things that she talked about at dinner certainly. It was her profounder state of being that one wanted to catch and turn to words, the state that is to the mind what breathing is to the body, what one calls happiness or unhappiness." Le récit-prétexte d'une légèreté diaphane se dissout dès que le regard tente de le saisir. Un accès se profile à un au-delà du sensible, à une autre dimension, à une vérité autre.

Cinquième énigme : le pourquoi du néant

Cette nouvelle sur le leurre, le reflet du double pris pour la chose, est on l'a vu critique du système mimétique naturaliste. Critique du processus et auto-ironie, célébration de l'imagination et démystification de l'objet "réel," car l'art n'a pour but que l'art, ses enjeux sont ceux de l'humain, qui ouvre un accès à la pensée du narrateur. Il ne s'agit pas de copier le discours scientifique mais d'élaborer un discours intensément personnel, une parole singulière, une voix.

D'où l'ironie de l'expression pompeuse : "tablets graven with eternal truth," parodie de la Parole révélée et célébration du Verbe. En même temps, le narrateur se moque de son imagination, parodiant les clichés romanesques, livrant des bribes de littérature de bazar, avec l'Orient, les tapis, l'exotisme et le danger, la littérature amoureuse à quatre sous :

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22. Voir aussi note 25 pour une interprétation modestement psychanalytique.

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"letters tied with a ribbon and sprinkled with lavender and petals." Ironie des pensées "décapées" comme l'image d'Isabella, celles qu' "on" lui prête grâce au discours indirect libre. Enfin, dernier jeu ironique, les lettres qu'elle ne lit pas, leurre narratif s'il en est, ne sont ni personnelles ni intimes, ce ne sont que des factures. Isabella n'ouvre pas la lettre, elle ne paie pas sa dette narrative, elle reste "lettre morte." Et pourtant l'écriture a eu lieu et un court moment de suspense s'est développé face au mystère prêté à tort au personnage : "her determination to conceal what she did not wish to conceal. The thought served as a challenge, Isabella did not wish to be known - but she should no longer escape. It was absurd it was monstrous." On connaît la suite entomologique.

Ce qui intéresse le narrateur ici, outre la dénonciation de la faillite du réalisme, c'est le mécanisme de l'activité créatrice via le travail de la pensée, le processus narcissique à l'oeuvre dans l'introspection et la projection du cercle herméneutique, la tâche solitaire du sujet/objet de la création, quand le narrateur semble reculer dans le fond pour laisser l'imaginaire avancer, les "moments de vision," "moments of being," les vérités révélées d'une manière indirecte sur le travail de l'artiste dont le cerveau a été "prised open" : une oeuvre, un questionnement.

Le miroir, forme-figure, reflète la forme de la nouvelle : ce pan, cet éclat, que l'on peut saisir en entier dans un espace limité, concentre dans sa surface une figure finie de l'infini pour parler comme Lotman, un point de vue sur le monde, une synecdoque. Il ouvre des perspectives et par la perspective enferme une portion du monde dont l'immensité est suggérée par ce qui échappe au cadre. Homologie de formes, laboratoire d'expérimentation, l'espace contraint de la forme brève permet à la quête formelle de se dire, à l'observation attentive et à l'imaginaire d'avoir "lieu." Le personnage est vide, mais la nouvelle a été écrite et une forme originale ébauchée entre fiction-récit-essai, proche en cela des scènes [23] de "Three Pictures" dans The Death of the Moth, [24] fonctionnant elles aussi sur l'erreur d'interprétation et le renversement de la fin. Le dédoublement, le changement de forme, la métamorphose, dans l'infini ressassement, deviennent des moyens d'accès au perpétuel, vers l'idéal, et des moyens

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23. "I can make up situations but I cannot make up plots. That is : if I pass a lame girl I can, without knowing I do it, instantly make up a scene : (now I can't think of one). This is the germ of such fictitious gift as I have. " W.D., Oct 5th 1927, p. 118.
24. On sait qu'au moment où Woolf a probablement écrit "The Lady in the Looking-Glass", elle concevait The Waves dont le titre initial était The Moths (voir W.D., années 1928- 31), et dont les enjeux poétique et théorique ressemblent à la nouvelle étudiée.

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de se réfléchir en elle, d'y projeter "l'image irréelle d'un Moi idéal." Le schéma répétitif qui du miroir va vers la fabulation puis fait retour dans une torsion de mots infiniment modulés, dit la tentative de trouver une nouvelle forme pour accéder à l'au-delà du visible, au surnaturel, à l'intemporel. Le miroir ne reflète que l'apparence, l'apparition/disparition, une crise, un événe-ment, jouant la naissance et la mort, le toujours déjà-là du voir, le désir haptique et la castration inévitable et désavouée : "She stood naked in the pitiless light. And there was nothing." [25]

L'apparition de la forme dans le miroir, de l'invisible jusqu'alors entrevu par bribes seulement, ne peut qu'aboutir à un fiasco. Le sens ne peut advenir que dans l'irréductible écart entre signifiant et signifié. Incarné ici par Isabella Tyson, idéal d'une femme idéalisée par l'imaginaire qui a "cristallisé" autour d'elle, son apparition provoque la chute du réel. Objet de la rêverie de "one," la forme restait parfaite, reflet de toutes les qualités. Que l'essence entre dans le champ du visible et c'est l'effondre-ment du voir. Quand l'invisible devient visible par le truchement du miroir, par la médiation du reflet, comme l'ombre dans la caverne platonicienne, la perte est inévitable. L'Idée reste hors du cadre, hors champ. La chose immortalisée est tuée dans sa représentation, tandis que s'affirme la vitalité du spectateur mortel. D'où le retour à Michaux : "Ecrire, tuer quoi."

Dans ce flottement du vestige, de la ruine, du reflet, reste une fiction, une "textamorphose," [26] de l'invisible rendu lisible : une activité mentale. Un cocon filé autour d'un centre vide. La chrysalide s'est métamorphosée en papillon, psyché en grec, l'âme, forcément invisible donc comme le Rien, "no-thing," originel, dérivé de res, la chose.

Ecoutons pour finir la voix qui dit l'écriture comme mode de vie, pour tenir.

I shall make myself face the fact that there is nothing - nothing for any of us. Work, reading, writing, are all disguises; and relations with people. Yes, even having children would be useless [...] Well all this [thinking about The Moths] is of course the "real" life; and nothingness only comes in the absence of this [...] everything

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25. Pour ces mécanismes de l'inconscient, castration de la mère phallique, narcissisme, en relation avec la représentation on pourra se reporter à Guy Rosolato. On pourrait peut-être ainsi lire "La Dame" comme fantasme narcissique sur la réunion des deux sexes en un, face à l'horreur de la castration, ce qui serait peut-être corroboré par l'énigme du nom hermaphrodite de Isabella Tyson (Thy son ?).
26. cf. M. Calle -Gruber, parle des "textamorphoses" de Michel Butor, Corps écrit, p. 102.

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becomes green and vivified in me when I begin to think of  The Moths. [27]

On sait quelle ultime forme prit l'affrontement narcissique, la lutte entre le néant d'ici-bas et le vert revivifiant de l'écriture : une canne plantée près d'une rivière.

Ouvrages cités

Barthes, Roland. L'Obvie et l'obtus. Paris: Seuil, 1982.

Borgès, Jorge Luis. Fictions. Paris: Gallimard (1956) 1983.

Byatt, Antonia. Angels and Insects. New York: Vintage (1992) 1994.

Calle-Gruber, Mireille et Mesnil, Michel. Corps écrit, "La métamorphose," n°26, PUF, 1988.

Minazzoli, Agnès. La Première ombre. Paris: Minuit, 1990.

Rosolato, Guy. Essais sur le symbolique. Paris: Gallimard, 1969.

Woolf, Virginia. A Haunted House and Other Stories. Harmondsworth : Penguin (1944) 1975.

A Writer's Diary. St Albans: Panther Books, 1978.
Moments of being. St Albans: Panther Books, 1976.

The Captain's Death Bed and Other Essays. London: The Hogarth Press, 1950.

The Common reader. London: The Hogarth Press, 1957.

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27. W.D., June 23rd 1929, p. 142-43.

(réf. Etudes Britanniques Contemporaines n°  Hors Série. Montpellier : Presses universitaires de Montpellier, 1997)